Médaille militaire et croix de guerre n’y auront pas suffi. En cet automne 1918, le grand dessinateur et affichiste Gus Bofa ne peut oublier la réalité du massacre. Et en ces lendemains d’armistice, voir ses confrères humoristes se vautrer dans la gaudriole cocardière n’est pas pour le consoler. Aussi, lorsque le galeriste Georges Weil lui propose d’exposer son travail (magnifique, précurseur de l’œuvre tant d’Hergé que de Tardi, ainsi que le démontre la très belle biographie Gus Bofa : l’enchanteur désenchanté que lui consacre Emmanuel Pollaud-Dulian aux éditions Cornélius), est-il heureux d’accepter en y joignant celui de toute une génération d’artistes dont la carrière a été pareillement que la sienne interrompue par le conflit mondial. Le Salon de l’Araignée (animal dont Bofa admirait la patience créatrice…) est né. Il se tiendra annuellement de 1920 à 1930 et fera se côtoyer les œuvres de Bofa, donc, mais aussi de Benito, Chas Laborde, Charles Martin, André-Edouard Marty, Jean-Emile Laboureur ou Frans Masereel. Parmi d’autres. Un feu d’artifice de talents, d’une prodigalité et d’une diversité sans égales, qui capture en ses reflets l’âme d’une époque. Pierre Mac Orlan ou Francis Carco, mais aussi Carlo Rim, Jules Pascin ou le couturier Paul Poiret s’associent à ce club qui ne réclame de ses membres aucune adhésion formelle. Sous le crayon ou la plume des uns et des autres, la guerre, les sports, la mode, les horizons lointains, les lumières de la ville composent le kaléidoscope des temps.
On peut se demander comment un « moment » artistique aussi puissant a pu demeurer si ignoré. C’est dire l’importance de cette monographie d’Emmanuel Pollaud-Dulian et Géraldine Méo, publiée par les éditions Michel Lagarde. On y renoue avec les heures illustrées de l’Illustration, du premier Vanity Fair, de Chagall, de l’Art déco. C’est l’enfance de l’art.
Olivier Mony