Révélé il y a dix ans par sa passionnante trilogie autobiographique Une vie chinoise (Kana, 2009-2011, avec Philippe Ôtié au scénario), Li Kunwu, né en 1955, construit depuis une œuvre forte qui témoigne à partir de ses propres expériences de la réalité de la Chine ancienne et de sa transformation dans la deuxième moitié du XX^e siècle. Après Les pieds bandés et La voie ferrée au-dessus des nuages (Kana, 2013), Empreintes (Kana, 2014), Cicatrices (Urban China, 2014) ou encore Ma génération (Kana, 2016), il signe une touchante biographie de sa mère. S'il caressait vaguement ce projet de longue date, celui-ci ne s'est concrétisé, à l'initiative des éditeurs belgo-français de Li Kunwu, qu'à la mort, au début de 2018, de Li Xinzhen. L'auteur était très proche de sa mère qui, vers la fin de sa vie, lui racontait de multiples anecdotes sur son enfance lors de leurs longues promenades.

Comme toujours, Li Kunwu fait revivre, au-delà de son personnage, un mode de vie, une culture, une époque. Xinzhen est née à l'orée des années 1930 dans une Chine aux structures encore féodales. Ses parents ne s'entendaient guère, leur vie était déterminée par celle de leur employeur, le général Gu, un seigneur de guerre à Kunming (Yunnan), au sud de la Chine, dont le père de Xinzhen était l'aide de camp. Sa mère travaillait aussi chez lui comme domestique. Et si la fillette a bénéficié dès sa naissance de l'affection et de la protection des employeurs de ses parents, cela n'allait pas sans complications dans cette période troublée par l'émergence de l'armée rouge de Mao et la Longue marche (1934-1935).

Xinzhen expérimente la dure condition de fille dans une Chine rurale où les routes ne sont pas sûres, les désordres de la guerre, les conflits familiaux qui la conduisent à changer de foyer, la pauvreté, mais aussi l'ouverture par l'école ou les fêtes. Graphiquement, épurant et attendrissant son trait, Li Kunwu est à son meilleur.