25 août > Roman France

Le narrateur dit souvent "je", mais parle aussi de lui, Christophe, à la troisième personne - c’est l’un des charmes majeurs de l’autofiction que de jouer avec les identités et les points de vue narratifs, de mêler le réel et l’imaginaire, et Donner est l’un des maîtres du genre.

Christophe, donc, a été prénommé ainsi en mémoire de son grand-père maternel, résistant et mort en déportation. Quant au reste de la famille, décomposée, c’est ambiance libertaire et foutraque. Sa mère, Julia, psychanalyste qui roule dans une vieille Jaguar, tient à tout expliquer par la sexualité, que son fils, qu’elle appelle "minet chéri", découvre à 9 ans, en 1965, en face d’un phallus étrusque du musée du Louvre. Son père, Jean-Claude, communiste convaincu, semble moins permissif. Leurs rapports deviendront exécrables, au point que le garçon ira vivre chez Lou, toubib, son tuteur, et Lucienne, sa femme, qu’il considère comme sa seconde mère. Tout ça n’empêchera pas le gamin de se masturber "partout", "de façon intensive", de faire ses premières "saloperies" avec un Raphaël, puis d’avoir quelques aventures avec un Paul, un Florian en Tunisie… Tout en tombant amoureux de toutes les filles qu’il rencontre, comme Lilas, en 1969, à Saint-Tropez, dans la maison de Georges, son père, chanteur. Moustaki ? Puis Hélène, qui l’amènera à faire du théâtre. Un temps, Christophe voulait être comédien. Il a posé nu pour des photos, passé une audition au Conservatoire, tourné même dans un film expérimental, façon happening.

Maman Julia collectionne les amants (Fernand, psy également, ou Richard le prolo), Christophe se fait sa culture littéraire (Le rouge et le noir, Germinal…), milite à la Ligue et vend Rouge, se veut révolutionnaire extrême, "contestataire des contestations". Mai 68 est passé par là, bien sûr. Tout ça, c’était une autre époque, même si d’aucuns décèlent avec nos jours certaines similitudes, et prophétisent une résurgence. Le grand soir serait-il enfin pour demain ?

Christophe, qui raconte sa beauté d’antan, la perte de son pucelage en Argentine avec une Monica, ses premiers essais d’écriture pour le théâtre, a peut-être laissé passer sa chance de devenir un nouveau Tadzio, celui de Mort à Venise, le film de Visconti, transcendé par Björn Andresen, lequel est toujours en vie même s’il a disparu depuis longtemps de nos écrans. Qu’a-t-il tourné après ? Pas L’innocent, le dernier film du maestro, juste monté avant sa mort, le 13 mars 1976, sur quoi se clôt le beau livre de Christophe Donner. Celui-là n’a aucun regret à avoir : il est devenu un sacré bon écrivain. Jean-Claude Perrier

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