Couronné par le prix Goncourt en 2008, Syngué sabour : pierre de patience d'Atiq Rahimi «a représenté un bon tiers du chiffre d'affaires" (de l'ordre de 3,2 millions d'euros en 2008 et 2009, NDLR), estime Paul Otchakovsky-Laurens, le P-DG de P.O.L qui revendique 330 000 exemplaires de ventes nettes du titre, tiré à 15 000 avant le prix. L'an dernier, grâce au prix Renaudot, celles de Limonov d'Emmanuel Carrère ont doublé, «passant de 135 000 à 270 000 exemplaires", dit encore son éditeur. La filiale du groupe Gallimard a alors vu son CA bondir de 83,3 % par rapport à celui de 2010, année pourtant où les ventes de La vie est brève et le désir sans fin de Patrick Lapeyre sont passées de 30 000 exemplaires à 160 000 suite au prix Femina.

"Un prix, c'est un chiffre d'affaires supplémentaire important, mais également la consécration d'un auteur et la crédibilité pour une maison d'édition", commente le P-DG de P.O.L, cinq fois lauréat du prix Femina, par ailleurs souvent couronné par France Inter ou France Culture. Une affirmation qui s'applique dans les deux sens : donner en 2007 le Renaudot à Daniel Pennac a sans doute plus servi l'image du prix que celle de l'auteur, qui doit à sa seule notoriété une bonne partie des ventes de Chagrin d'école, estimées par Ipsos à 821 700 exemplaires. "Les grands prix sont toujours discutés dans le même dilemme : couronner un prix du public ou éclairer un livre qui passerait inaperçu", confirme Danièle Sallenave. Les deux jurys où elle siège, le Femina et l'Académie française, ont choisi cette année la première option : si les ventes des précédents livres de Patrick Deville n'avaient pas dépassé les 10 000 exemplaires, c'est avec Peste & choléra, déjà remarqué par le public et vendu à 70 000 exemplaires, que le romancier décroche le Femina. Et en attribuant le prix du roman à Joël Dicker, l'Académie française choisit celui qui venait de faire, selon son éditeur Bernard de Fallois, "un triomphe inattendu à l'étranger" avec une trentaine de cessions de droits, notamment durant la Foire du livre de Francfort, et un tirage de 50 000 exemplaires de La vérité sur l'affaire Harry Quebert avant le prix.

Pour autant, un livre couronné en France ne se vendra pas plus à l'étranger, «sauf peut-être pour le Goncourt et le Femina dans les pays européens, Italie en tête», nuance Paul Otchakovsky-Laurens. "De manière générale, les éditeurs étrangers disent que cela ne compte pas beaucoup, comme ne comptent guère en France le prix Strega ou les prix américains", confirme Bernard de Fallois.

PARCE QU'IL EST VENDABLE

A contrario, être dans les premières sélections de septembre peut appuyer les démarches auprès des maisons étrangères : «C'est un coup de projecteur sur un livre, plus qu'un prix lui-même. Si les éditeurs l'aiment, ils vont se précipiter, aussi parce qu'ils ont peur qu'on le vende trois fois plus cheraprès un prix", analyse Anne-Solange Noble, responsable des cessions de droits à l'étranger chez Gallimard, qui tempère toutefois : "Attention, on est en crise, un livre n'est plus jamais acheté à l'aveugle, on l'achète parce qu'il est vendable, pas parce qu'il est de grande qualité." Mais elle relève avec plaisir la gageure de vendre les droits d'un livre volumineux, donc cher à la traduction. "Ce serait ridicule de dire que le Goncourt n'a pas aidé, mais c'est d'abord parce que j'ai aimé et que je me suis emparée de L'art français de la guerre d'Alexis Jenni que j'ai décroché quinze contrats", se félicite-t-elle.

De fait, ce lauréat 2011 n'a pas été un gros Goncourt : 203 000 exemplaires vendus en grand format selon Ipsos, tandis qu'à l'inverse Les Bienveillantes de Jonathan Littell, tout aussi volumineux, prix Goncourt 2006 dont les ventes frisent les 700 000 exemplaires en France, a été boudé à l'étranger. A part le Goncourt, dont l'impact sur les ventes est en France indéniable - il occupe six des dix premières places des meilleures ventes des prix entre 2007 et 2011 (voir ci-contre), pour une moyenne de plus de 400 000 exemplaires -, "l'effet des autres prix littéraires dépend des livres primés", confirme Bernard de Fallois, trois fois lauréat du grand prix du Roman de l'Académie française et une fois de l'Interallié, sans jamais dépasser 20 000 exemplaires avant cette année. «Du moins les prix relancent-ils la presse et la mise en avant en librairie", témoigne Manuel Carcassonne, directeur général adjoint de Grasset, couronné cette année du Femina essai et du Médicis étranger, mais également partie prenante du succès des éditions Bernard de Fallois dont elles possèdent un tiers du capital. Les deux maisons se félicitent du succès fulgurant de ce jeune auteur suisse. Cependant, "il vaut mieux essayer de vivre sans les prix littéraires", disait, non sans coquetterie, l'éditeur de Joël Dicker au lendemain du grand prix de l'Académie française. Cette année, il devra faire avec.

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