12 avril > Récit Italie > Giorgio Van Straten

Amoureux de la littérature, écrivain lui-même, traducteur de l’anglais, le Florentin Giorgio Van Straten se sent plus l’âme d’un Max Brod, l’ami et exécuteur testamentaire de Franz Kafka dont, reniant la parole donnée et violant les dernières volontés, il avait sauvé l’œuvre, que de Maria, la veuve de Romano Bilenchi, laquelle, par respect, a brûlé le manuscrit de son roman inachevé, Il viale, juste avant de mourir elle-même en 2010. Quoique ne satisfaisant pas son auteur, ce texte était, selon Van Straten, un chef-d’œuvre.

Car le pire, dans cette affaire, c’est que Bilenchi, de son vivant, avait fait lire à certains de ses amis plusieurs chapitres, puis que Maria, afin d’avoir leurs avis, leur en avait confié une copie - qu’ils lui ont tous restituée. Van Straten s’en veut encore : sa position, que partageront certains, au nom de l’intérêt supérieur de la littérature, est que l’on doit publier post mortem les inédits d’un écrivain, même s’il l’a interdit formellement. D’autres, en revanche, privilégient le respect du droit moral absolu de l’auteur sur son œuvre. Puis de ses ayants droit. Le débat ne sera jamais tranché. A la suite de cette première histoire, Van Straten l’érudit en raconte sept autres de la même eau, où des ouvrages d’écrivains majeurs ont été détruits, en général par le feu, par eux-mêmes ou des proches, ou perdus (que de valises égarées contenant des chefs-d’œuvre), mais sans que, cette fois, il n’y soit pour rien. Ainsi des Mémoires de Byron, autodafés par ses éditeurs et certains de ses amants, sans doute pour cette raison "de mœurs", l’homosexualité étant considérée comme un crime à l’époque en Angleterre. De la valise d’Hemingway perdue dans un train par sa première femme, Hadley, et contenant ses écrits de jeunesse. Il ne s’en est jamais remis, racontant encore ce désastre dans Paris est une fête. Les âmes mortes de Gogol, dont on ne peut lire que le long fragment d’un vaste tout, l’auteur, d’un perfectionnisme extrême, ayant brûlé le reste. De même Malcolm Lowry, dans une de ses phases d’autodestruction, a-t-il brûlé, en même temps que la cabane où il vivait, en 1944, en Colombie-Britannique, le manuscrit "définitif" de In ballast to the White Sea. On n’en connaît que la première version, de 1936, retrouvée par miracle et récemment publiée.

Pas de miracle, hélas, pour Le livre des passages de Walter Benjamin, disparu lors de son suicide, ni pour Double exposure de Sylvia Plath, détruit, après son suicide, par son ex-mari, Ted Hughes… Sans doute, à moins qu’il ne se trouve dans ses propres papiers, accessibles en 2022. Giorgio Van Straten devra encore patienter jusque-là.

Jean-Claude Perrier

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