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Une assurance pour les Puf

Le siège historique des Puf, à l’angle du boulevard Saint-Michel et de la place de la Sorbonne. - Photo Archives Puf

Une assurance pour les Puf

Les Presses universitaires de France, jusqu’ici possédées par ses auteurs, ont été reprises pour 51 % du capital par la société de réassurance Scor. Dont Denis Kessler, ex-vice-président du Medef, intellectuel libéral et auteur des Puf, est l’atypique P-DG.

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Par Laurent Lemire,
Créé le 23.01.2014 à 22h18 ,
Mis à jour le 03.04.2014 à 17h10

Tout le monde connaît la collection "Que sais-je ?". Elle symbolise bien l’esprit des Presses universitaires de France. Elle explique aussi la vocation du premier éditeur universitaire français à vouloir apporter des réponses claires et précises, dans tous les champs du savoir, en donnant la parole aux meilleurs spécialistes.

L’aventure commence en 1921, à la suite du Manifeste coopératif des intellectuels et universitaires français. De grands noms de la science appellent alors à des réformes en matière de recherche, de formation et de publication. C’est ainsi que sous l’impulsion d’un groupe de professeurs une société coopérative voit le jour sous le nom de Presses universitaires de France avec sa librairie installée symboliquement place de la Sorbonne, à l’angle du boulevard Saint-Michel. En 1934, Alcan et Rieder, deux éditeurs importants en philosophie et en littérature, rejoignent les Puf avec des auteurs comme Emile Durkheim, Henri Bergson, Pierre Janet ou Jean Perrin. Le directeur nommé à la tête de cette nouvelle structure s’appelle Paul Angoulvent. En 1939, la fusion entre toutes ces maisons est achevée avec l’ajout de Leroux, spécialisée dans l’histoire et les religions.

Paul Angoulvent, fondateur de Puf, devant des piles de "Que sais-je ?".- Photo ARCHIVES PUF

 

Un quadrige.

L’emblème de cet attelage éditorial est tout trouvé : ce sera est un quadrige. Les Puf vont alors commencer à tisser leur toile dans le domaine du savoir en respectant la volonté des fondateurs : "Répandre la culture française tant en France qu’à l’étranger et transmettre la connaissance à tous les degrés, sous toutes formes matérielles."

 

Cela va se concrétiser avec un concept d’encyclopédie au format de poche. Le premier "Que sais-je ?", consacré aux Etapes de la biologie, est lancé en 1941, en pleine Occupation. Le but : exposer l’essentiel d’un sujet en 128 pages. Son auteur, Maurice Caullery, zoologiste réputé, fait partie du conseil d’administration des Puf. Malgré son âge - 73 ans -, il sera arrêté par la Gestapo et passera quelques jours à Fresnes en raison de ses sympathies gaullistes. Paul Angoulvent, lui, a réussi à installer la plus durable des collections à rotation rapide. En 1982, lors de la parution du 2 000e titre, elle représente le quart du chiffre d’affaires des Puf !

A partir de ce coup de maître, l’éditeur ne va plus cesser de se diversifier, quelquefois trop, diront certains, en multipliant les collections, les revues et en investissant des disciplines comme la psychanalyse, l’économie ou la sociologie. On ne saurait nommer tous les grands noms qui ont dirigé ou publié des travaux aux Puf, mais le meilleur de l’Université française y figure, d’Henri Bergson à Michel Foucault.

Dans ce prestigieux catalogue, il faut aussi citer Marcel Mauss, Lucien Lévy-Bruhl, Maurice Halbwachs, Lucien Febvre et Marc Bloch, Gaston Bachelard, Claude Lévi-Strauss, Gilles Deleuze, Alfred Sauvy, Georges Dumézil, Jean-Pierre Vernant, Jean Laplanche, J.-B. Pontalis, Jacques Lacan et Gabriel Chevallier, l’auteur de l’incontournable Clochemerle

Sous l’impulsion de Michel Prigent qui succédera en 1994 à Pierre Angoulvent - en 1968, ce dernier avait lui-même remplacé son père à la direction de la maison -, la fin des années 1980 voit la promotion des grands dictionnaires comme celui d’Albert Soboul sur la Révolution française et le début de la grande aventure éditoriale des Œuvres complètes de Sigmund Freud en 22 volumes. Dans les années 1990, les Puf intensifient cette ouverture avec la "Collection du premier cycle" qui veut renouveler les manuels, puis "Major" pour les élèves des classes préparatoires des grandes écoles. En 1994, paraît le 3 000e "Que sais-je ?", et c’est encore l’occasion d’un bilan : 141 millions d’exemplaires vendus dans le monde dans quarante langues. On a aujourd’hui dépassé les 160 millions pour 3 800 titres… La fin des années 1990 devient plus tumultueuse pour la maison, obligée à plusieurs reprises de procéder à des augmentations de capital. Jusqu’à l’arrivée de Scor, l’actionnaire majoritaire des Puf (56 %) était une holding rassemblant un grand nombre d’universitaires, auteurs de la maison. Flammarion, aujourd’hui intégré au groupe Madrigall, détient 15 % du capital. Et en 2006, la GMF (16 %) avait rejoint la Maaf (8 %). Les mutuelles actionnaires étaient désormais réparties dans Covéa-Groupe d’assurance mutuelle.

Depuis un an, le dossier a beaucoup tourné dans l’édition, mais seuls des investisseurs extérieurs au secteur auraient fait des propositions.

 

"Un patrimoine français."

Avec plus de 5 500 références dans toutes les disciplines des sciences humaines réparties dans 170 collections, les Puf disposent cependant d’un fonds exceptionnel dont la valeur n’a pas échappé au chercheur et repreneur Denis Kessler. "Il y a là un patrimoine français qu’il était intéressant de sauvegarder." Et de diffuser, serait-on tenté d’ajouter. Car dans ce domaine aussi, la diversification s’impose. D’autant que le rythme de 450 titres par an paraît trop important à un moment où l’édition en sciences humaines traverse une crise.

 

2011, l’année du 90e anniversaire de la maison et du décès de Michel Prigent, fut l’occasion de faire le point. Sous l’impulsion de Monique Labrune, nommée présidente du directoire en 2012, les Puf ont souhaité diminuer le nombre de parutions, tout en s’ouvrant à un plus large public et en adaptant son offre aux nouvelles technologies. Pour financer cette mutation vers le numérique, il était urgent de trouver un repreneur puissant. En l’absence d’offres provenant de l’édition, elles ont opté pour le groupe Scor et son P-DG Denis Kessler, lui-même auteur Puf. «Qu’un grand groupe puisse aider une société à pouvoir, dans le domaine de l’édition, donc dans la production du savoir et la diffusion du savoir, trouver un second souffle, ça fait partie aussi de notre mission", précise celui-ci. Le savoir "sous toutes formes matérielles", préconisaient les fondateurs. L’aventure continue…

Voir aussi www.livreshebdo.fr/article/les-puf-reprises-par-le-reassureur-scor et www.livreshebdo.fr/article/scor-prendra-51-du-capital-des-puf

Denis Kessler : le trublion du patronat

Denis Kessler.- Photo MEIGNIEUX/SIPA PRESS

A 61 ans, c’est un patron de choc qui prend le contrôle des Puf. Mais Denis Kessler est aussi un universitaire qui a consacré sa thèse au capitalisme familial. Le P-DG du réassureur Scor, qui détient désormais 51 % de la société, est un libéral et il ne s’en cache pas. Cet ancien numéro 2 du Medef, proche de Pierre Gattaz, fut en l’an 2000 l’idéologue de la refondation libérale auprès d’Ernest-Antoine Seillière. En 2007, il avait appelé à "sortir de 1945 et défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance" qui inspira le modèle social français, ce qui lui avait valu une volée de bois vert de quelques anciens du CNR comme Raymond Aubrac. Dans son ouvrage consacré au Medef (L’Archipel, 2013), Bernard Giroux, attaché de presse pendant vingt-cinq ans de cette organisation, montre un Denis Kessler coriace : "Il fallait le voir arriver à un petit-déjeuner de presse, une grosse serviette remplie de livres et de documents sous le bras, la chemise à moitié sortie du pantalon et déjà fulminant contre la gauche, la droite, les syndicats, l’UIMM [le patronat de la métallurgie], les journalistes trotskistes, les lobbyistes, les cheminots ou les Inuits, que sais-je encore !" Claude Bébéar, président du conseil de surveillance d’Axa, préfère vanter sa culture encyclopédique, tout en soulignant son côté "abrasif" dans les relations humaines.

Cet Alsacien monté à Paris, étudiant charismatique à HEC, auteur, avec son ami Dominique Strauss-Kahn, d’un rapport sur le financement des retraites, n’est pas un tiède. Avec sa stature à la Danton, grand lecteur de Shakespeare, il ne voit la révolution qu’au travers du libéralisme et contre les 35 heures. Economiste, agrégé de sciences sociales, il a publié chez Economica, Fayard ou Odile Jacob des ouvrages de référence sur la finance. Il y a un peu plus d’un quart de siècle, il avait même dirigé un dossier sur l’assurance européenne dans la Revue d’économie financière : c’était sa première entrée aux Puf.


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