2020

Une année très BD

Concert dessiné Clément Oubrerie & le Caloé Barbillon Quartet lors de Quai des bulles 2018. - Photo Quai des Bulles 2018

Une année très BD

Voulue par le ministre de la Culture, l'opération BD 2020 labellisera des dizaines d'événements pour faire rayonner la bande dessinée au-delà de ses circuits traditionnels. Mais le calendrier est serré, les budgets ne sont pas encore répartis et la grogne des auteurs pourrait gâcher la fête.

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Par Benjamin Roure
Créé le 03.01.2020 à 16h42

Des 54 propositions faites au ministre de la Culture pour une politique nationale renouvelée en matière de bande dessinée, c'était la première. Faire de 2020 l'année de la BD figurait en tête du rapport de Pierre Lungheretti, directeur de la Cité internationale de la bande dessinée et de l'image (CIBDI), remis voilà un an. L'idée a été immédiatement retenue par Franck Riester, qui a chargé la CIBDI et le Centre national du livre de mettre en musique des événements à même de « renforcer l'ancrage du neuvième art dans notre paysage artistique et culturel, et de valoriser sa force créatrice autour de tous les hommes et les femmes qui la font vivre et rayonner ». Voilà pour l'intention. La mise en œuvre est une autre affaire.

Vincent Monadé, président par intérim du CNL- Photo OLIVIER DION

Premier défi : le calendrier. Les premières réunions se sont tenues au printemps avec des allures de mobilisation générale. « Nous avons demandé aux festivals aidés par le CNL de dessiner un programme d'événements pour toute l'année 2020, raconte Vincent Monadé, président du CNL. De plus, nous avons appelé les plus petites structures sur le territoire à déposer des dossiers dans les Drac. » Les propositions, remises mi-novembre, sont actuellement à l'étude. « Ce qui nous a été demandé, c'est de briser le plafond de verre, d'amener la bande dessinée dans des institutions où elle n'entre pas », se réjouit Mathieu Diez, directeur de Lyon BD Festival, chantre du "décloisonnement". Toutefois, s'intégrer dans l'agenda d'établissements éloignés de la BD, alors que les programmations sont souvent bouclées deux ans à l'avance, n'a rien d'évident. D'autant que - deuxième défi - personne ne savait encore mi-décembre quelles enveloppes seraient finalement allouées à chacun. « Le budget des mesures nouvelles de l'année de la BD s'élève à 1,2 million d'euros », rassure Vincent Monadé. Les arbitrages seront rendus d'ici à février, les festivals avançant jusque-là à l'aveugle (voir page 26).

Fondateur des éditions çà et là - Serge Ewenczyk - Editions çà et là- Photo OLIVIER DION

Petite étincelle et Grand Palais

" L'Etat crée l'étincelle, mais c'est aux acteurs de terrain de faire vivre l'événement. Les éditeurs seront là pour les accompagner", promet Moïse Kissous, fondateur de Steinkis et président du groupe BD du Syndicat national de l'édition (SNE). Et de citer l'extension de l'opération annuelle 48h BD, qui sera organisée dès mars. « A notre niveau, l'année de la BD va rester limitée, modère Bruno Fermier, délégué général du réseau Canal BD. Nous nous associons à l'événement et profiterons de ses outils de communication. » Au-delà de ce volet commercial, le SNE préfère mettre en avant son initiative « La BD à l'école », lancée en décembre. Elle n'a pas de rapport particulier avec BD 2020, mais va pouvoir bénéficier de ce coup de projecteur. Le ministère de l'Education nationale pourrait quant à lui annoncer prochainement de nouveaux liens entre enseignement et 9e art. Pour Vincent Monadé, l'université doit aussi se saisir de « l'acte de bande dessinée comme une discipline d'étude ». Un grand colloque est attendu à la Sorbonne ou au Collège de France.

Car les pouvoirs publics tiennent à réaliser pour BD 2020 des coups spectaculaires et médiatiques. « Il y a sans doute une forme de mépris à casser, et faire entrer la bande dessinée contemporaine dans les grandes institutions muséales est un objectif », souligne Vincent Monadé. Le président du CNL se félicite d'expositions comme Picasso Comics au Musée Picasso, Largo Winch à la Cité de l'Economie ou Emile Bravo au Mémorial de la Shoah.

Mais, outre les sculptures de Philippe Geluck sur les Champs Elysées, l'événement le plus retentissant sera sûrement celui prévu au Grand Palais à la Pentecôte, piloté par le SNE en partenariat avec les collectivités et le festival d'Angoulême. « Conçu par Gad Weil [qui avait transformé la place Vendôme en champ de blé en 2016 - NDLR], il s'agira d'un événement spectaculaire appuyé sur un contenu artistique », décrit Moïse Kissous, qui attend encore les dernières validations financières. « Gratuit et tout public, le Palais de la BD doit servir à expliquer la bande dessinée et ses métiers, afin de toucher le plus de gens possible », s'enthousiasme Marion Glénat-Corveler, qui prend peu à peu les rênes du groupe fondé par son père. « Il faut se féliciter de pouvoir fédérer des événements de tous les éditeurs pour que l'année 2020 soit une grande fête de la BD », martèle Charlotte Gallimard, P-DG de Casterman. En comparaison, et presque comme un modèle de fête populaire, Vincent Monadé cite « le succès de l'opération Partir en livre, dont l'édition 2020 sera aux couleurs de la BD ».

Les auteurs pas encore à la fête

La fête pourrait cependant être ternie par les tensions autour du statut des auteurs. Largement évoquée dans le rapport Lungheretti, la situation de plus en plus précaire des scénaristes, dessinateurs et coloristes de bandes dessinées n'est pas occultée par le ministère et le CNL, même si tous préféreraient attendre les conclusions du rapport de Bruno Racine sur la condition d'auteur, dont la date de remise demeure inconnue. Le groupe BD du Syndicat national des auteurs et des compositeurs (Snac BD) a remis sur la table une de ses principales revendications : la rémunération des auteurs dédicaçant dans les festivals, 2020 pouvant servir d'année test. « Nous proposons une base de 225 euros bruts par jour pour une participation à un festival labellisé Année de la BD, explique Marc-Antoine Boidin, vice-président du Snac BD. C'est un symbole qui doit susciter une prise de conscience. » Le CNL et la Sofia seraient ouverts à cette idée, et avanceraient sur une subvention spéciale dans certains festivals, qui prendraient à leur compte un tiers de ces rémunérations. Mais les auteurs réclament que les éditeurs soutiennent la démarche afin qu'elle soit durable, ce que le SNE rejette. « Si nous devions être dans l'obligation de payer, nous inviterions moins d'auteurs et seulement les plus gros vendeurs, ce qui ne serait pas pertinent, réplique Moïse Kissous. Nous avons suggéré que les organisateurs de festivals allouent des espaces pour que les auteurs vendent des travaux personnels pour amortir leur présence. » Marc-Antoine Boidin balaie l'idée, tout comme celle de faire payer les dédicaces par les lecteurs. Les positions semblent pour l'heure inconciliables.

Les pistes pour améliorer la rémunération des créateurs se dessinent alors vers le déplafonnement des revenus annexes, les invitations des Instituts français à l'étranger (volet international de l'année de la BD), et le développement des résidences. « La rémunération en festival n'est finalement que symbolique par rapport aux montants en jeu, souffle Serge Ewenczyk, fondateur de Çà et là et vice-président du Syndicat des éditeurs alternatifs. Les résidences artistiques me semblent plus intéressantes car elles offrent un temps pour le travail d'auteur ainsi qu'une vraie rémunération. » Ça tombe bien, le CNL compte les développer. Cela suffira-t-il à éteindre la grogne des créateurs ?

Festivals : les as du bricolage

Mathieu Diez- Photo PAPLUQUET

Il y a ceux qui, comme Glénat et son exposition sur la peinture et la bande dessinée « Derrière la montagne », à Grenoble, ou Casterman avec l'exposition Alix à Versailles, vont se ranger avec le sourire sous la bannière BD 2020 pour des événements prévus de longue date. De leur côté, les festivals soutenus par le Centre national du livre ont été pressés de monter en un temps record, sans visibilité budgétaire, un programme pour animer toute l'année leur région en bande dessinée. « Le CNL souhaite des événements nouveaux, hors des dates du festival et dans d'autres champs artistiques, explique Pascal Mériaux, directeur des Rendez-vous de la bande dessinée d'Amiens. Nous étendons donc notre action sur tous les Hauts-de-France avec des expositions et rencontres dans une dizaine de lieux et scènes conventionnées. ».

D'après le directeur de Lyon BD, Mathieu Diez,« l'idée de faire entrer la bande dessinée dans des lieux où elle ne va pas rejoint l'envie qui nous anime depuis 15 ans. Depuis juillet, nous nous sommes efforcés de mobiliser tous les acteurs culturels de la métropole pour monter un programme de dix événements sur l'année. » Concerts dessinés à l'Opéra et à l'Auditorium, résidence d'auteurs au Théâtre des Célestins, partenariat avec les Assises internationales du roman... Les idées ne manquent pas. La visibilité, si. « Tout vient assez tard, mais nous profitons des interstices, comme la Nuit des musées, pour nous insérer dans des programmes, poursuit Mathieu Diez. En revanche, nous n'avons aucune confirmation sur les budgets, alors que nous sommes partis la fleur au fusil sur des projets ambitieux. »

Crainte du saupoudrage

Les arbitrages devraient être rendus d'ici à février. Les chiffres qui circulaient en décembre atteignaient 300 000 € à se partager entre la douzaine de grands festivals comme Lyon, Amiens, Aix-en-Provence ou Saint-Malo, et une enveloppe similaire pour les nouveaux venus. La crainte d'un siphonnage de la manne par les événements parisiens et angoumoisins est dans toutes les têtes. « Si c'est pour saupoudrer 20 000 euros par-ci par-là dans des festivals qui ont déjà une programmation développée, sachant que c'est là le coût minimal d'une exposition sérieuse, ça n'aura quasiment aucun impact », regrette un éditeur indépendant, résumant l'inquiétude générale. « J'ai demandé 30 000 € pour deux projets, révèle Bruno Genini, directeur de BD Boum à Blois. Le premier concerne une centaine d'ateliers BD dans des structures de la protection judiciaire de la jeunesse ou des établissements d'éducation spécialisée. Si je n'ai pas l'enveloppe complète, on ne pourra pas aller partout. Concernant le second projet, l'édition d'un ouvrage doublée d'une exposition, je n'ai pas encore appelé les auteurs, ne pouvant m'engager auprès d'eux. » A Saint-Malo, Quai des bulles prévoit d'amplifier ses actions sur le territoire breton, mais avance à tâtons, sans communiquer spécifiquement sur BD 2020...

Les festivals veulent toutefois croire que les liens qui sont en train d'être tissés avec des théâtres ou des musées ne vont pas s'effilocher avec l'annonce d'un budget trop serré. Ils clament que le programme envisagé ne sera pas low cost. « Monter des opérations à l'échelle locale, c'est notre réalité opérationnelle et travailler avec peu d'argent, c'est notre quotidien, tranche Pascal Mériaux. Nous avons l'expertise et le savoir-faire pour monter des expositions. On s'adaptera. » Ont-ils vraiment le choix ? 

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