Charlie hebdo aurait franchi la ligne jaune. Beaucoup de commentateurs font fi des précédents, et en particulier de la procédure qu'a subie le journal en 2006 et 2007. Une organisation musulmane a même saisi la justice, mercredi 19 septembre 2012, sitôt le numéro litigieux en kiosque. Certes, en droit procédural français, les juges sont libres de changer d'avis. Mais c'est à nouveau la chambre de la presse, la fameuse 17 ème chambre correctionnelle, qui devra in fine trancher, avec un air de déjà jugé. Car, dans son édition du 8 février 2006, Charlie Hebdo reproduisait en pages intérieures douze caricatures de Mahomet, parues au mois de septembre précédent dans un journal danois, le Jyllands-Posten . En une, un dessin de Cabu montrait le Commandeur des croyants particulièrement affligé par certaines de ses brebis. Depuis que la bombe à fragmentation larguée par le journal danois avait explosé, des déflagrations ne cessaient de se faire sentir à travers la planète, avec toutefois un très net surcroît de vigueur au Pakistan, où des effigies du Premier ministre danois étaient brûlées au cours de manifestations violentes ; en Afghanistan, en Indonésie, en Lybie, en Irak où des soldats danois étaient la cible de tirs dans le sud du pays, etc. Les têtes des caricaturistes avaient été mises à prix, cent mille dollars de la part d'Al-Qaïda, un million de dollars et une voiture de la part d'un généreux dignitaire musulman pakistanais, plusieurs attentats terroristes visant les satiristes avaient été déjoués, de même que des tentatives d'assassinats, les ambassades du Danemark et de Norvège avaient été incendiées en Syrie, celle du Danemark à Islamabad, capitale du Pakistan, était temporairement fermée, tandis que l'ambassadeur du Pakistan à Copenhague était rappelé... Bref, la tension était à son comble quand Charlie Hebdo décidait, à la suite de feu France Soir et de journaux allemand, italien, espagnol, belge ou même égyptien, de publier les dessins controversés. Alors que l'hebdomadaire imprimait habituellement à cent quarante mille exemplaires, un tirage exceptionnel de cent soixante mille était mis en vente. En milieu de matinée, la plupart des points de vente étaient en rupture de stock ; un nouveau tirage était lancé en urgence, et ce furent près de quatre cent mille numéros qui s'écoulèrent finalement dans la seule journée du 8 février 2006. La veille, des organisations musulmanes françaises tentaient de faire interdire la livraison. La justice les déboutait, bien que le gouvernement français ait apparemment tenté d'influencer les juges en leur conseillant d'abonder dans le sens de la requête déposée par les associations musulmanes. Un an plus tard, le « procès des caricatures de Mahomet » s'ouvrait, au fond, devant le tribunal correctionnel de Paris. Sur le banc des plaignants, l'Union des organisations islamiques de France, la grande mosquée de Paris et la Ligue islamique mondiale, qui s'était déjà constituée partie civile lors de l'affaire des propos tenus par Michel Houellebecq, selon lequel l'islam serait « la religion la plus con » ; sur celui des prévenus, Philippe Val, directeur de la publication, poursuivi pour « injure envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». L'ambiance n'était pas très bonne. Maître Salah Djemaï, conseil de la Ligue islamique mondiale, organisation basée en Arabie Saoudite, déclarait : « La Ligue islamique mondiale veut sensibiliser l'opinion à la montée du racisme dans ce pays. On envisage de demander l'euro symbolique. La Ligue islamique mondiale ne fait pas ça pour le fric. Le fric de M. Val est puant. » Le 22 mars, Philippe Val était relaxé. Le tribunal estimait, en termes peu louangeurs pour le journal, que la caricature était un « genre littéraire » relevant de la liberté d'expression et que nul n'était contraint d'acheter Charlie hebdo . Mais surtout, le tribunal relevait que l'ensemble des musulmans n‘était guère visé, seule une idéologie et ses symboles l'étant. Philippe Val s'en réjouissait devant les caméras des télévisions qui patientaient en nombre dans les couloirs du Palais : « On est content pour nous et pour vous, on va pouvoir faire notre métier. C'est une bonne nouvelle pour ceux qui croient à la liberté d'expression, pour les musulmans laïques et républicains. »