C'est une fresque. Découverte à l'été 1968 pendant les fouilles d'une petite nécropole et depuis pieusement conservée au musée archéologique de Paestum, elle représente un athlète plongeant dans l'eau et daterait de 480 avant J.-C. On la nomme "la fresque de la tombe du plongeur". Souvent Claude Lanzmann s'est perdu dans sa contemplation, et c'est le nom que cet amateur de plongée, et de saut dans le vide métaphysique, cet amoureux de la Méditerranée a choisi de donner à son nouveau livre, recueil d'articles, de chroniques, de tribunes, de portraits, qui résume de façon fulgurante plus d'un demi-siècle de présence active au monde.
Comme à la Samaritaine jadis, on trouve de tout dans cette Tombe du divin plongeur, qui est toutefois moins un mausolée qu'un pêle-mêle passionnant, témoin du bon plaisir et des jours de son auteur. Comme il le rappelle dans l'avant-propos de son livre (un peu complaisamment, toutefois...), il a fallu attendre la publication du Lièvre de Patagonie (Gallimard, 2009) pour comprendre que sous le cinéaste, auteur de l'une des oeuvres les plus essentielles de ce temps, pointait aussi un écrivain, non moins important. Sans doute, cette fois-ci, l'effet de surprise n'en sera plus. Toutefois, la lecture de ces pages agit bien comme une confirmation du talent de son auteur. Si l'on se félicite d'y retrouver les grands textes, parfois polémiques (ah, cette somptueuse exécution de Raymond Barre peint en quelques phrases en antisémite ordinaire...), par lesquels, le plus souvent, Lanzmann a largement contribué à hausser le niveau du débat moral en France ces quinze dernières années, on est surtout heureux d'y découvrir une autre facette du bonhomme, et pas la moins brillante, le formidable journaliste et portraitiste qu'il fut tout au long des années 1960, essentiellement pour le Elle d'Hélène Lazareff. Le bonhomme a tout ce qu'il faut pour être un grand journaliste. Du courage à revendre, un petit côté voyou plus ou moins revendiqué et le sens de la scène, un regard acéré. Il est avec le jeune dalaï-lama qui fuit son pays sans espoir de retour ni une larme. Il rôde dans le hall d'un palace de Capri autour de la dérive amoureuse de la princesse Soraya et de sa cour, ou de ce qu'il en reste. Il s'attendrit auprès d'un Jacques Tati, génial inventeur de formes, cerné par les créanciers et qui n'en a cure. Il apaise les souffrances de Sami Frey, saisi de vertige à l'aube de la gloire, alors que ses disparus le tirent par la manche... Il observe, amusé, Belmondo lisant L'Equipe sur la plage de Zuydcoote parmi des figurants indifférents. Il assiste au triomphe romain de Charles Aznavour, formidable imprésario de lui-même. Il est partout, ne cherche pas spécialement à se laisser ignorer, il voit tout et le reste, le comprend. En fait, s'il n'avait été Claude Lanzmann, il aurait pu être notre George Plimpton français.
Seulement, il est Lanzmann, et jamais mieux, plus justement, que dans le texte bouleversant qui clôt le volume, oraison funèbre prononcée sur la tombe de sa mère. Oui, cette Tombe du divin plongeur est un tombeau, un voyage parmi les ombres. Un de plus. Un encore.