Le réveil est toujours rude, même si maman le fait en douceur, annonçant tous les matins l'heure de se lever au narrateur de quatorze ans qui partage sa chambre avec son frère de trois ans son aîné. Ce matin-là, la porte s'est ouverte soudain avec une déclaration incongrue : « Le mur est tombé cette nuit. »

Saint-Nazaire, 10 novembre 1989, le jeune adolescent se dit, quel mur ? « La marée avait-elle le dessus sur les pierres ? Idée séduisante mais illogique : notre mère aurait été incapable de constater le désastre de la fenêtre. On habitait dans le centre-ville, le dos tourné aux flots. » Son grand frère branché sur NRJ ne lui explique pas plus quel parapet a cédé sous la pression de quelque intempérie. Au petit-déjeuner, son père excédé d'avoir un rejeton si peu éveillé précise : le mur de Berlin, pardi ! Le père a l'air concerné, pour cause, il est né en Pologne.

Dans Après le mur, Jean-François Kierzkowski met en scène une famille franco-polonaise et l'entraîne, et nous avec, dans un périple à travers les pays de l'ex-bloc soviétique. De Saint-Nazaire à Varsovie, en passant par Berlin et Prague, ce professeur de mathématiques, auteur de textes fantastiques et de scénarios de BD - dont En route pour le Goncourt (Cornélius, 2012) - raconte par le truchement de son juvénile alter ego le choc des cultures entre l'Est à peine émancipé du joug communiste et l'ouest de la France tranquille dont il est issu. Le primo-romancier signe ici un roman initiatique avec la dose de burlesque qu'engendrent les malentendus. Mais l'initiation est autant parcours que retour - une remontée de sa propre généalogie, côté paternel. Le héros embarqué dans le combi Volkswagen familial découvre un pays comme toute une partie de lui-même - des racines que son géniteur, Polonais hyperintégré, lui a transmises à son insu, contre son gré, lui « le Polack » qui ne s'assumait pas. Le voilà avec sa grand-mère, « Babcia », Luminita la jolie tante célibataire qui a toujours tenu tête (ceci explique cela), Bogumil l'oncle goguenard qui lui trouve des airs du rêveur oncle Kazimierz, « un peu fané aujourd'hui mais homme élégant autrefois. » L'immersion dans la culture polonaise du Rideau de fer se fond dans l'ambiance de la France des années 1990 : le 20 heures de Daniel Bilalian, Cindy Lauper sur les ondes, Arnold et Willy sur la Cinq. Et qui vécut ces années-là perçoit, mêlée à la cocasserie des situations, de subtils effluves de nostalgie.