Les fervents lecteurs de sa fameuse Trilogie berlinoise (Le Livre de poche) et de ses suites le savent déjà : Philip Kerr aime à jouer sur les époques et à faire naviguer son protagoniste fétiche dans deux périodes. L'excellent Hôtel Adlon montre d'abord Bernie Gunther officiant dans le Berlin de 1934. Il n'est plus inspecteur principal à la Kripo à cause de son adhésion à la République de Weimar et son allégeance aux principes fondamentaux de la justice. Au lieu de cela, le voilà détective dans un hôtel. Pas n'importe lequel puisqu'il s'agit de l'hôtel Adlon dont les suites disposent de baignoires de "la dimension d'un U-boat". Un très chic établissement où, la plupart du temps, tout fonctionne "à la manière d'une grosse Mercedes officielle".
Notre homme, qui cite volontiers Emmanuel Kant, en vient à tuer d'un coup de poing fatal un policier membre du parti nazi qui lui reprochait de n'avoir pas dénoncé un passant ayant prononcé des propos calomnieux contre le Fürher. Il lui faut aussi enquêter sur le décès d'un client de l'Adlon, mort après une étreinte fatale avec une prostituée. "Le secret dans ma profession, c'est d'avoir des réponses toutes prêtes aux questions auxquelles les autres n'ont même pas songé", explique-t-il en essayant de garder la tête froide...
Toujours aussi doué, Philip Kerr - dont le précédent opus, Une douce flamme (éditions du Masque, 2010), reparaît au Livre de poche - nous entraîne ensuite, en 1954, à La Havane, où Bernie Gunther s'est installé sous un faux nom après un séjour en Argentine. Il se fait désormais appeler Carlos Hausner, roule en Chevrolet Skyline, fume le cigare et boit du bourbon comme Hemingway. Ici aussi, la colère gronde. Le chef des rebelles, un certain Fidel Castro Ruiz, a écopé d'une peine de quinze ans après l'attaque d'une caserne. A son procès, il a prononcé un discours où il affirme : "L'histoire m'acquittera"...