Essai/France 3 janvier Jean-Pierre Winter

Ah le père... Généralement, le psychanalyste soupire. Cette figure-là, il la connaît trop bien. Ou finalement si peu. D'autant qu'elle lui semble remise en question avec toutes ces histoires d'homoparentalité et de désirs d'enfants. Où est donc le père, le père fondateur, le père missionnaire, ce Nom-du-père dont Lacan redoutait la forclusion et qui pouvait conduire selon lui à la psychose ? Il en connaissait un rayon, lui qui fut pour sa fille Sybille un père sans avoir été un papa. Elle s'est suicidée à 73 ans...

On voit bien la place centrale de cette icône dans la photo de famille. Pour nous le rappeler, Jean-Pierre Winter prend plusieurs exemples tirés de la littérature avec notamment Effroyables jardins (2000) de Michel Quint où un fils méprise son père qu'il trouve ridicule parce qu'il se déguise en clown avant d'en comprendre les raisons. « Le fils retrouve sa dignité en retrouvant celle de son père. » Un autre exemple extrait cette fois du cinéma évoque le père commedia dell'arte qui sauve son fils des camps de la mort dans La vie est belle (1997) de Roberto Benigni. Jean-Pierre Winter puise aussi dans les précédents historiques avec le géniteur dédaigneux de Churchill ou dans les cas rencontrés dans son cabinet.

S'il ne fait pas du père la panacée - il suffit de mentionner les cas d'incestes ou de mauvais traitements -, il considère que le père existe d'abord dans la parole et que celle-ci se déploie dans le temps. Il revient donc à Lacan. « Si Œdipe n'a pas de complexe d'Œdipe, c'est que dans son histoire il n'y a pas de père du tout. Celui qui lui a servi de père est un père adoptif. Et nous en sommes toujours là, car après tout, le père est celui qui nous a reconnu. » Ce phénomène de reconnaissance est au cœur du problème pour Jean-Pierre Winter.

Pour l'auteur de Transmettre (ou pas) (Albin Michel, 2012) « nous sommes dans l'erreur quand nous croyons savoir que c'est la génétique qui fait le père ». En revanche, la généalogie lui paraît fondamentale pour écrire son histoire.  « Comme clinicien d'enfants notamment, je suis confronté depuis bientôt quarante ans aux dégâts imputables à l'effacement du père. » On comprend qu'il n'apprécie pas la proposition de remplacer « père » et « mère » par « parent 1 » et « parent 2 ».

Les psychanalystes sont souvent conservateurs par nature puisqu'ils sont pour la préservation du patrimoine symbolique. « Les mythes ne servent pas qu'à raconter des histoires. Ils mettent en scène ce dont on ne sait comment parler. » Le rapport au père en fait partie. Ce n'est pas un hasard si Freud voyait dans cette fonction une « certaine sacralité ».

L'effacement du père pourrait donc conduire au pire. On ne peut sans risque jouer avec des signes qui remontent au fondement de l'humanité et se contenter de dire « un père et passe ». Mais il serait tout aussi vain de ne pas remarquer les changements de la structure familiale. Aussi, tout en prenant en considération les mutations des processus sociaux et les avancées biotechnologiques, cet essai a le mérite de poser la réflexion en termes clairs, nourrie d'une irremplaçable expérience de thérapeute.

Jean-Pierre Winter
L’avenir du père : réinventer sa place
Albin Michel
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 18 euros ; 160 p.
ISBN: 9782226397980

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