3 mai > Récit France > Nathalie Quintane

Toujours difficile de ranger les livres de Nathalie Quintane dans une case: manifeste d’agitation poétique? essai d’intervention? Précis de critique sociale? Après Que faire des classes moyennes ? (P.O.L, 2016), Un œil en moins se présente avec malice comme "un pavé". De ceux qu’on jette, arme offensive et défensive à la fois, car l’écrivaine est animée d’une colère qu’elle distille en partie dans l’ironie, bien loin de la rhétorique militante classique.

Si ce n’était pas du Nathalie Quintane, on pourrait dire que ce texte est un journal: il en a la forme, chronologique, d’avril 2016 à avril 2017, suivant les événements qui ont marqué cette période de contestation collective: manifestations contre la loi Travail, Nuit debout, etc. A part que ce n’est jamais formulé sur un mode descriptif documentaire. D’ailleurs, les mouvements dans ce livre n’ont pas de noms propres.

L’écrivaine a pris part à tout ça, témoin direct et actif. Elle a observé, participé, de la petite ville du Sud-Est où elle vit, "le bled", au pied des Alpes, près de la frontière italienne. Et on la suit - parfois, il faut s’accrocher car on fait des allers-retours à Paris, on se retrouve à Rio, à Bergen, à Berlin -, de réunions en manifs, d’actions collectives en démêlés judiciaires personnels. Entre élan soudain et exaltant - "parler dehors politique comme aux temps les plus antiques" - et distance perplexe. Se glissent ici et là un plan dessiné à la main de la place de la République, plus loin un tableau à double entrée qui répertorie les blessures infligées aux manifestants en fonction du type d’armes utilisées par les forces de l’ordre, un classement de l’activisme par degrés ou une typologie des militants. Ainsi avance Nathalie Quintane, entre doute et éclair d’enthousiasme: "Ce tag qui m’a tant plu : "les vitrines, saperlipopette !", ce juron familier et vieilli, daté 1840 dans le Robert, a perçu exactement ça, le décalage temporel, le plaisir que ça fait, de lire en pleine rue un peu de littérature, l’incompréhension garantie de la plupart, la protection que ça confère, l’humour qui en rajoute - puisque de toute façon personne n’est prêt, rien n’est prêt." En ce printemps électrique qui vient, s’équiper de ce pavé est fortement conseillé. Véronique Rossignol

13.04 2018

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