Les conditions d'un partenariat entre le public et le privé ont été au coeur des interventions à la table ronde sur la numérisation des oeuvres du patrimoine écrit, organisée le 25 novembre par la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, présidée par Michèle Tabarot (UMP, Alpes-Maritimes). L'éventualité d'une collaboration entre la Bibliothèque nationale de France et Google a suscité de nombreuses prises de position.
Pour le président de la BnF, Bruno Racine, il importe que l'institution « garde la main » et que l'opérateur privé n'ait pas de monopole sur le fonds numérisé. Son prédécesseur, Jean-Noël Jeanneney, qui avait lancé le débat contre Google, a répété que seule la puissance publique pouvait assurer la pérennité d'un fonds numérique et sa qualité sous forme d'un choix ordonné, contre le vrac, en total désaccord sur ce point avec son successeur, pour qui l'exhaustivité est absolument nécessaire.
« Est-il bien raisonnable de donner à Google un monopole sur le patrimoine écrit français ? », s'est interrogé de son côté le P-DG d'Hachette Livre. Pour Arnaud Nourry, « connaissant ses pratiques actuelles, ce serait une vue à court terme. Pour le moment il faut se garder de passer tout accord avec cette entreprise ». Il ne « faut pas armer les géants du Net, a-t-il insisté. Aux Etats-Unis, Amazon contrôle 85 % du marché du livre numérique et, dans la musique, Apple est ultra-dominant. »
Serge Eyrolles, président du SNE, a soutenu que les éditeurs sont prêts à proposer des contenus numériques, même si le marché n'existe pas pour le moment. Il a regretté qu'aucun accord n'ait été trouvé avec Google en dépit de longues discussions, ne laissant d'autre solution aux éditeurs français que d'intenter un procès contre le programme de numérisation sans autorisation du moteur de recherche, dont ils attendent le jugement.
Le président du Centre national du livre, Nicolas Georges, a reconnu qu'un accord avec Google contribuerait évidemment à renforcer un acteur déjà très puissant, en ajoutant que la question des oeuvres du patrimoine ne pouvait être dissociée des oeuvres toujours sous droit d'auteur. Guillaume Boudy, secrétaire général du ministère de la Culture et de la Communication, a rappelé que les pouvoirs publics ne découvrent pas le sujet aujourd'hui et consacrent déjà des fonds importants à la numérisation de l'écrit. Il a précisé que ces moyens pourraient être considérablement accrus dans le cadre du grand emprunt national.
Philippe Colombet, responsable de Google Livres pour les pays francophones, s'est dit convaincu qu'un partenariat public-privé pouvait apporter beaucoup aux deux parties, en souhaitant qu'il soit créatif et transparent vis-à-vis des citoyens. Il a invité les pays européens et les syndicats nationaux d'éditeurs, laissés à leur demande en dehors de la nouvelle version du projet d'accord (settlement) en discussion aux Etats-Unis, à formuler leurs propositions.
« Si cet accord est approuvé aux Etats-Unis, les citoyens américains auront accès à un volume énorme d'oeuvres, dont les Européens ne disposeront pas, s'inquiète pour sa part Javier Hernandez-Ros, chef de l'unité “Accès à l'information” à la Commission européenne. Que devons-nous faire ? Nous ne voulons pas que nos utilisateurs soient dans une position défavorable », a-t-il souligné, ajoutant qu'il jugeait indispensable de trouver une solution au problème des oeuvres orphelines, et que la Commission européenne était ouverte aux partenariats, sous réserve qu'ils n'aboutissent pas à une privatisation des oeuvres du domaine public.
Marc Tessier, président de la commission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques, s'est décrit dans la position du druide dans les aventures d'Astérix, mais « démuni de potion magique ». « Google n'est qu'une partie du problème, a-t-il rappelé. Il faut discuter des conditions d'accès aux fonds numérisés par le grand public, et veiller à ne pas créer de position dominante ou monopolistique. »