23 août > Premier roman France > Estelle-Sarah Bulle

"Mais toi, tu sais ce que c’est qu’un jardin créole ?" demande une Antillaise septuagénaire sur son lit d’hôpital parisien à sa nièce qui a grandi à Créteil. On est en 2006, dans les dernières pages du premier roman d’Estelle-Sarah Bulle, et on regrette d’avoir à quitter les attachants protagonistes de cette saga aux accents autobiographiques qui retrace avec beaucoup de verve l’épopée de la famille Ezechiel, depuis Morne-Galant, un bourg isolé de Guadeloupe, rebaptisé en créole "Là où les chiens aboient par la queue", jusqu’à Paris et ses banlieues. Le parcours d’obstacles de héros anonymes qui, les uns après les autres, ont tous quitté leur île dans les années 1960 et dont les trajectoires intimes suivent l’histoire collective contemporaine des Caraïbes françaises.

C’est une femme née en 1974 qui collecte les souvenirs de ses deux tantes et de son père, et y mêle sa propre voix. La dépositaire principale de la mémoire est la tante Antoine, le "nom de savane" de l’aînée des trois enfants d’Hilaire Ezechiel, paysan pauvre de Grande-Terre, et d’Eulalie née Lebecq d’une lignée de "Blancs Matignon". Antoine est une sacrée "bougresse" au tempérament indompté, une grande femme à l’instinct de survie dopé par une foi superstitieuse très personnelle qui va forcer toutes les portes de son destin, depuis sa fuite de la case familiale en 1947 à 16 ans, peu après la mort de leur mère, jusqu’à Pointe-à-Pitre où s’épanouira son sens du commerce avant un deuxième départ sans retour vers la métropole en 1967.

Chaque membre de cette valeureuse fratrie évoque tour à tour ces ruptures qui ont jalonné leur vie, la complexité de leur identité métisse, de leur condition "d’immigrés de l’intérieur""Nous qui venons d’un entre-deux du monde", témoigne dans sa langue chatoyante la tante Antoine, qui traduit les expressions en créole à sa nièce. Alors, la description du jardin créole? "C’est un endroit minuscule où se mêlent des plantes médicaments, des plantes nourricières et des fleurs dont la beauté nourrit les yeux", répond la jeune femme. "C’est ça. A la fois la pharmacie et le garde-manger des habitants des îles", acquiesce la tante. Le roman plein de saveurs d’Estelle-Sarah Bulle donne envie d’en cultiver un. V. R.

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