12 avril > Histoire littéraire France

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Bourguignon de Tournus, le professeur Albert Thibaudet (1874-1936) fut le critique littéraire le plus important de l’entre-deux-guerres. La chance de sa vie fut, dans les années 1910, d’avoir consacré quelques articles élogieux à des livres d’André Gide. Celui-ci, cofondateur et gourou de LaNRF, ouvrit naturellement les colonnes de sa jeune revue à Thibaudet, collaborateur dès 1911, puis titulaire, du 1er mars 1912 jusqu’à sa mort, d’une chronique régulière intitulée « Réflexions sur la littérature ». Tout un programme, presque un manifeste. Pour Thibaudet, digne héritier de son maître Sainte-Beuve même s’il ne fut pas toujours d’accord avec lui, la critique était un genre littéraire en soi, une espèce de belvédère sur le monde, les livres et leurs auteurs. Il y avait, chez cet homme, une gourmandise sympathique.

C’est de cette expérience, de sa propre pratique, que sont nées les six conférences prononcées par Thibaudet à la fin de 1922 au théâtre du Vieux-Colombier, dont Gaston Gallimard était l’un des fondateurs et Jacques Copeau le directeur, vite devenu une annexe de La NRF et des éditions Gallimard, ainsi qu’un haut lieu de création et d’effervescence intellectuelle. Le sujet et le titre en étaient génériques : « L’art et le métier de la critique ». Lorsque, huit ans après, il décida de les rassembler et d’en publier les textes en volume - sans rien y changer, précise-t-il -, il le fit sous le titre, bien plus « vendeur », de Physiologie de la critique, clin d’œil à la fameuse Physiologie du goût de Brillat-Savarin. Notre homme, on l’a dit, était un bon vivant. Ce devait être aussi un brillant causeur. « La vraie critique de Paris se fait en causant », notait Sainte-Beuve.

C’était enfin un pédagogue, qui aimait les discours charpentés et les classements ternaires. On lui doit d’avoir jeté les bases historiques de la critique littéraire moderne née au XIXe siècle. Puis d’avoir tenté de la définir, en trois catégories : la « critique spontanée », faite par les « honnêtes gens » de façon informelle, qu’on appelle aujourd’hui « le bouche-à-oreille » ou le « buzz » sur la Toile et les réseaux sois-disant sociaux ; la « critique des professionnels », à l’époque réservée aux « spécialistes », et de nos jours de plus en plus diluée puisque, sur Internet, n’importe qui peut écrire n’importe quoi sur n’importe quel sujet ; et la « critique des artistes, faite par les écrivains eux-mêmes » : celle-là n’a pas trop changé.

En son temps, Thibaudet reconnaissait déjà que ses trois catégories étaient des « tendances vivantes » et non des « compartiments ». Dans notre XXIe siècle confus, se retrouverait-il ? Sa Physiologie de la critique, en tout cas, est d’une lecture tout à fait stimulante. J.-C. P.

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