Après le Suédois Henning Mankell, qui se trouvait au printemps dernier à bord de la flottille en route vers Gaza, voici qu’un autre écrivain à succès, l’Egyptien Alaa el Aswany, veut s’opposer à la traduction de son œuvre en hébreu. Ne nous mêlons pas de juger ces décisions — priver les lecteurs israéliens des aventures du commissaire Wallander ou de la vie de L’Immeuble Yacoubian , en guise de protestation politique… — pour nous concentrer sur l’aspect juridique de cette version inattendue du conflit au Proche-Orient. Car je n’arrêterai de lire ni l’un ni l’autre pour contester la pertinence de leur vision ou de leur stratégie — ce qui serait ajouter un boycott au boycott. Mais à défaut d’avoir compris la notion d’un nécessaire appel au calme, sur un conflit aussi délicat, les deux intéressés ont surtout besoin d’un cours de droit. Il n’apparaît pas, à l’examen de leur dossier respectif, qu’il se soient opposés par contrat à la parution de leurs livres en hébreu ou en Israël. Leur éditeur d’origine peut donc se passer de leur accord pour contracter avec un homologue israélien. Le cas d’Alaa el Aswany est toutefois différent de son confrère nordique, puisqu’il subit une contrefaçon??commise par le Centre Israël Palestine pour la recherche et l’information, basé à Jérusalem, lequel a annoncé la diffusion gratuite de L’Immeuble Yacoubian pour «  favoriser la conscience et la compréhension culturelle  ». Nonobstant ces belles paroles, la version ainsi éditée est donc bel et bien illégale. En revanche, il n’existe pas, n’en déplaise aux écrivains, de clause de conscience — propre aux journalistes — permettant à un auteur de décider soudainement qu’il est hors de question d’être traduit, au gré de ses opinions politiques, en birman, en flamand, en mandarin, etc. Seul le droit moral pourrait éventuellement jouer. Rappelons en effet que tout romancier dispose à ce titre d’un droit de divulgation ainsi que d’un droit au respect de l’œuvre. L'article L. 121-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur « a seul le droit de divulguer son œuvre » et « détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci ». Le droit de divulgation, c’est donc d’abord le pouvoir pour un auteur de décider seul de la part de son œuvre qui mérite d’être publiée. Mais il s’étend aussi jusqu’aux conditions de la divulgation. C’est ainsi qu’un auteur peut invoquer ce droit moral pour refuser une exploitation sur certains supports. Cependant, l’absence de réserves au sein du contrat d’édition, en particulier dans la clause usuelle visant l’exploitation «  en toutes langues et dans le monde entier  », rend difficile l’usage du droit de divulgation pour s’opposer à la publication en telle ou telle langue. De même, le droit au respect de l’œuvre peut en théorie concerner l’environnement dans lequel elle est éditée. Las, les tribunaux sont plutôt enclins à sanctionner, par exemple, la parution d’un récit classique dans une collection pornographique. Quoi qu’il en soit, on ne saurait trop conseiller à nos deux écrivains, ainsi qu’à tous ceux qui seraient tentés de les imiter, de commencer par approfondir leur culture juridique. Alaa el Aswany a fait savoir qu’il entendait porter plainte auprès de l'Union internationale des éditeurs : on se demande bien en quoi elle aurait une autorité autre que les juridictions pour statuer sur la contrefaçon de livres.  
17.10 2013

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