Ils étaient quatre, tous résolument différents. Le premier était grand et blond, issu des meilleures familles patriciennes de la côte Est. Le deuxième était tout aussi blond, mais beaucoup plus petit. Ce gamin du Sud qui n’a jamais connu son père était si doué, si séduisant, qu’il parvenait à faire croire que son handicap de taille était une corde supplémentaire à son arc. Le troisième, brun quant à lui, guère cultivé mais ayant connu très jeune le succès, affectait un « genre artiste » (c’est-à-dire sale, regretta un jour Luchino Visconti) qui n’était guère du goût de ses camarades. Enfin, le quatrième, noir et plutôt laid, vivait entre Paris et Istanbul, tout en exerçant auprès de sa communauté un véritable magistère moral. Dans l’Amérique de l’après-guerre, on ne pouvait pas faire plus dissemblable que ces quatre-là. Si ce n’est que Gore Vidal, Truman Capote, Tennessee Williams et James Baldwin avaient deux choses en commun : ils étaient écrivains et homosexuels. Sans le revendiquer - les temps ne s’y prêtaient pas -, mais sans non plus rien faire pour le laisser ignorer.
C’est par ces quatre « héros », malgré eux, auxquels il adjoint les figures d’Allen Ginsberg ou de « l’Anglo-Californien » Christopher Isherwood, que le romancier Christopher Bram (l’un de ses romans, Le père de Frankenstein, a été traduit en français par les éditions Passage du Marais, 1999) explore un pan méconnu de l’histoire littéraire américaine. Comment, dans un pays dont l’ensemble des Etats (excepté l’Illinois) pénalisait l’homosexualité, des écrivains gays furent les ferments d’une reconnaissance communautaire qui s’inscrivit dans le grand vent de liberté qui souffla sur les Etats-Unis de Kennedy à Reagan. Bram évoque aussi les années sida et la Gay Pride via les figures d’Edmund White, Tony Kushner ou Armistead Maupin, mais ce sont les plus méconnues et historiquement décisives. Alcoolisme, dépression, solitude, exil, chacun d’eux paya au prix fort la rançon de son courage, mais si triste soit-elle, cette histoire est belle. Et juste. O. M.