Essai/États-Unis 8 nov. David Foster Wallace

C'était il y a un peu plus de dix ans, le 12 septembre 2008. David Foster Wallace, l'enfant terrible des lettres américaines, le plus doué peut-être, le plus intranquille sûrement, mettait fin à ses jours quelque part en Californie. Si l'onde de choc dans son pays où il avait su depuis longtemps imposer son regard de biais sur le réel, fut bien réelle ; la France où son œuvre commençait seulement à être traduite, n'en prit pas la pleine dimension. En fait, il fallut attendre 2015 et la publication (près de vingt ans après celle initiale aux Etats-Unis, tout de même) à L'Olivier de son livre somme, L'infinie comédie, pour que toute sa place lui soit enfin faite dans le paysage de la littérature américaine contemporaine vue de par chez nous.

Puisqu'il n'est plus question aujourd'hui de découverte, l'heure est donc venue avec ce passionnant Considérations sur le homard, d'une lecture dépassionnée d'un Foster Wallace enfin rendu à lui-même, c'est-à-dire à son œuvre. Peu importe désormais de quel degré de postmodernité il est porteur, ce qu'il dit de l'abandon des formes anciennes, seul compte l'acuité de son regard. Ici, « business as usual », c'est l'époque, c'est l'Amérique, son beau souci.

Quatre textes composent le volume, deux assez longs et deux beaucoup plus courts, tous emprunts d'un identique moralisme teinté de sarcasme. Dans « Le gros fiston rougeaud », manière de huron chez les obsédés, l'écrivain assiste dans un hôtel de Las Vegas, à la remise des Oscars annuels du porno. Une promenade aux confins du septième cercle de l'enfer. Dans « La vue de chez Mrs Thompson », c'est depuis une ville perdue de l'Illinois (et chez l'une de ses plus inoffensives habitantes et voisines) qu'il assiste au désastre du 11-Septembre. Dans « Courage, Simba », le voilà « embedded » dans la campagne pour les primaires républicaines de 2000 du sénateur John McCain « L'une des raisons pour lesquelles beaucoup des journalistes sur la Piste apprécient John McCain, c'est tout bonnement parce que c'est un type cool. Pas un Nerd. A la Fac (...) McCain était un sportif accompli et un trublion dont les talents de fêtard et de queutard sont encore évoqués avec admiration par ses ex-camarades. » Enfin, dans le texte qui donne son titre au volume, il disserte sur la funeste condition qui amène les homards à passer de vie à trépas.

En fait, si divers soient-ils, chacun de ces textes
(admirablement traduits, c'est-à-dire « compris », par Jakuta Alikavazovic, porte la marque d'une même volonté d'abord de leur auteur de « faire le job ». Jamais Foster Wallace ne se place en surplomb de son sujet. Il n'est pas au-dessus, il est à côté. Dans la marge. En ce sens, même s'il n'en partage pas vraiment le goût de l'extraversion, on ne peut pas ne pas considérer qu'il est quelque chose comme le fils tout aussi désespéré, « envapé » et spirituel d'un Hunter Thompson. Lorsque toute vertu s'absente ainsi et que cela est à ce point une souffrance, cela s'appelle le moralisme. David Foster Wallace est un moraliste que les temps affligent. Cela fait à la fois les plus beaux suicidés et les plus authentiques écrivains.

David Foster Wallace
Considérations sur le homard -Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jakuta Alikavazovic
l’Olivier
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 19 euros ; 272 p.
ISBN: 9782823608748

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