L'histoire du travestissement est riche et universelle : le livre illustré de la journaliste et écrivaine Chantal Aubry nous en raconte les péripéties telles que le monde du spectacle et des arts les a traversées du Japon à la Chine, de la Grèce à l'Angleterre, de Berlin à Paris. Onnagata du théâtre kabuki, "travestis burlesques » chez Molière, boys actors du théâtre élisabétain, esthétique camp des années 1960..., l'auteure s'attache surtout au lien très direct entre le statut social du travesti et celui de la femme, à travers l'évolution parallèle de leur place et de leur image. Ainsi la plus longue partie de cette histoire peut-elle se lire comme l'expression de la domination masculine dans les sociétés patriarcales de l'Orient et de l'Occident, où le travestissement est l'une des conséquences du retranchement des femmes de l'espace public. Il faut attendre, montre Chantal Aubry, le XIXe siècle pour que l'acte de brouiller le genre devienne choisi, politique et explicitement subversif, et se révèle comme "revendication émancipatrice", forme de contestation des frontières et des représentations du masculin et du féminin. Avec, à partir du VIIe siècle en Occident, une très longue période de durcissement, quand le christianisme frappe d'interdit deux "abominations", le travestissement et l'homosexualité.
Exploration fouillée, La femme et le travesti éclaire aux côtés de Gertrude Stein, d'Isabelle Eberhardt ou de Cindy Sherman, des figures de travestis moins célèbres : Jane Dieulafoy, qui accompagna, habillée en homme, son archéologue de mari en Perse ; la baronne Elsa von Freytag-Loringhoven, "l'une des premières guérillères de la lutte de la libération sexuelle" ; Natalie Clifford-Barney et sa "communauté saphique" de la rue Jacob ; ou encore Claude Cahen et ses autoportraits dans la première partie du XXe siècle.
Loin de n'être qu'une affaire de costume, et engageant le corps et l'identité tout entiers, baromètre du degré de tolérance d'une époque et d'une société, le travestissement apparaît bien ici comme un élément déterminant de l'éternelle question de la différence des sexes.