Couple combatif de la saga Millénium, Mikael Blomkvist et Lisbeth Salander ont tenu tête à la bande de vampires post-adolescents de la série Twilight et contribué à un succès improbable sur le marché européen de la traduction : des polars écrits en suédois, norvégien, islandais ou danois, publiés par des petites maisons d’édition, s’imposent face à une littérature anglophone formatée par les plus grands groupes d’édition pour des succès mondiaux.
"Après le succès de Stieg Larsson [Millénium], une nouvelle dynamique a entraîné l’explosion des traductions, avec l’arrivée de nouveaux auteurs tels que Liza Marklund, Camilla Läckberg, Jens Lapidus, Lars Kepler, Jo Nesbø, Arnaldur Indridason…", explique Rüdiger Wischenbart, coauteur de l’édition 2016 du Diversity report, une étude récurrente sur l’évolution de la traduction littéraire en Europe (1).
La voie d’Henning Mankell
Quelques aînés dont Henning Mankell, le plus célèbre, avaient préparé le terrain, mais l’évolution est nette entre la fin des années 2000 et le début des années 2010 : les livres d’origine scandinave représentent 24 % des titres recensés parmi les meilleures ventes du panel européen de l’étude, contre 15 % auparavant. Ils ont pris la place d’auteurs anglophones, en recul de 40 à 36 %, et des romanciers allemands, espagnols, italiens et français, les quatre langues dominantes de l’Europe continentale (qui chutent de 45 à 32 %). Dans le club très fermé des best-sellers européens, le Brésilien Paulo Coelho et le Japonais Haruki Murakami ont aussi élargi le spectre des traductions.
Faute d’accès aux statistiques de Nielsen et GFK, les deux principaux bureaux d’étude des ventes de livres en Europe, qui ne couvrent d’ailleurs par uniformément tous les pays, Rüdiger Wischenbart, Miha Kovac et Yana Genova ont bâti deux outils d’observation : un suivi du top 10 des meilleures ventes de romans dans sept pays (Suède, Royaume-Uni, Pays-Bas, Allemagne, France, Espagne et Italie), et un corpus de 250 auteurs les plus traduits dans douze langues européennes (allemand, anglais, croate, espagnol, français, hongrois, italien, néerlandais, polonais, slovaque, suédois, tchèque). L’objectif de cette seconde base est d’aller au-delà des best-sellers pour observer la diversité de l’offre européenne et tenter de comprendre ce qui facilite ou entrave les traductions.
A côté des blockbusters internationaux surtout anglophones (Dan Brown, Sylvia Day, J. K. Rowling, James Patterson, John Grisham, Stephen King…), cette seconde liste fait ressortir des auteurs littéraires (Michel Houellebecq, Haruki Murakami, Philip Roth) parmi lesquels des prix Nobel (Mario Vargas Llosa, Patrick Modiano, Mo Yan). "Il vaut mieux écrire dans une des grandes langues européennes pour être traduit. Les auteurs d’Europe centrale sont clairement désavantagés", note Rüdiger Wischenbart.
Une culture internationale
Les plus traduits, dans au moins huit des langues du panel, sont pour moitié des anglophones, pointe l’étude. Plus étonnant, derrière l’apparente diversité des autres auteurs, on retrouve l’influence de la culture anglo-saxonne quand on observe leur parcours : Khaled Hosseini vit en Californie, Carlos Ruiz Zafón navigue entre Barcelone et Los Angeles, Tatiana de Rosnay partage sa vie entre la France et les Etats-Unis, Katherine Pancol a passé une dizaine d’années à New York, Haruki Murakami a écrit deux de ses romans aux Etats-Unis, etc., a découvert Miha Kovac. La clé pour être traduit serait donc d’être déjà imprégné d’une culture internationale.
(1) www.wischenbart.com/diversity/