C'est toujours un moment émouvant quand un écrivain donne un livre qu'il portait depuis longtemps. On a aimé la Laurence Tardieu de Puisque rien ne dure ou du Jugement de Léa, la sensibilité palpitante avec laquelle elle animait des histoires souvent tragiques. Dans La confusion des peines, on rencontre Laurence. Et on la reconnaît, mais dans une sobriété nouvelle qui densifie les mots qu'elle pose avec courage, l'un après l'autre, comme les lourds pavés d'un chemin douloureux.
Elle dit qu'il lui a fallu d'abord écrire d'autres livres, "plus doux", "plus feutrés", mais on a plutôt le sentiment que, au contraire, la voilà, à 38 ans, dans cette force calme qui naît quand on a passé un obstacle qu'on avait toujours cru infranchissable. Celle d'avoir enfin trouvé les ressources de s'extraire des sables mouvants du silence dans lesquels elle s'était progressivement enlisée depuis 2000, année où son monde, choyé, privilégié, s'est brutalement effondré, où sa mère est morte en quelques mois d'une tumeur au cerveau à 59 ans et son père "polytechnicien, cultivé, passionné de musique et de littérature" a été envoyé en prison. Ecrire froidement ce fait : "Mon père, un des directeurs de l'ex-Compagnie générale des eaux, a été condamné pour corruption à vingt-quatre mois de prison dont six mois ferme en décembre 1997 par la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion."
Laurence Tardieu sait que pour soulever la chape qui l'oppresse, elle doit écrire dans les angles morts des secrets. Tuer le silence d'abord, puis la honte, venue plus tard, qui n'était pas celle de la chute, mais celle de ne rien oser en dire.
Cette "lettre au père" est d'autant plus poignante que, contrairement à celle de Kafka, elle est destinée à être lue par son destinataire, que ce père-là est vivant, et qu'elle n'a pas attendu - ce qu'en bonne fille docile et bien élevée elle aurait dû faire - sa mort pour la publier. Mais ce livre est une déclaration d'amour et non un règlement de comptes. Un acte d'insoumission qui est un affranchissement.