Geordie Greig est formel. Pour le rédacteur en chef du Mail on Sunday, Lucian Freud est « le plus grand peintre figuratif du XXe siècle », un artiste qui a « repoussé les limites artistiques autant que sexuelles ». Dans le passionnant Rendez-vous avec Lucian Freud que proposent les éditions Christian Bourgois, le journaliste raconte dix années de rendez-vous et de petits-déjeuners chez Clarke’s, établissement calme non loin de son domicile de Kensington Church Street à Notting Hill, avec le patriarche de l’art anglais.
Grâce à lui, le lecteur français voit peu à peu se composer le portrait de celui qui a vu le jour en décembre 1922 à Berlin. Petit-fils d’un certain Sigmund - qui lui racontait des blagues -, il a photographié à l’âge de 9 ans Hitler dans la rue. Décidé dès son plus jeune âge « à parvenir à la grandeur », Lucian Freud eut très tôt une aversion pour la monogamie. Lorna Wishart, « tentatrice aux yeux bruns », fut la première femme dont il tomba amoureux. Caroline Blackwood, héritière Guinness drôle, timide et intelligente, la deuxième femme qu’il épousa et dont il divorça.
Greig analyse sa manière de travailler, son besoin obsessionnel d’indépendance et de secret. Il rappelle que son sujet a eu des rendez-vous galants avec Greta Garbo et a dansé avec Marlene Dietrich. Que Ian Fleming, le créateur de James Bond, le détestait cordialement. Qu’il fixait les dîneurs du restaurant Wolseley à Pic-adilly en concentrant son regard sur «les nuques, les visages, les jambes et même les oreilles».
Bagarreur, accusé « d’infidélité, de cruauté et d’absentéisme paternel », Lucian Freud raccrochait sans dire au revoir. Il n’a accordé aucune interview de 1940 à la dernière décennie de son existence. Il se montrait « spirituel, caustique et curieux » et se disait persuadé que « l’observation intense et prolongée de l’homme constituait l’essence de l’artiste ». Savoureux et documenté, accompagné de reproductions des œuvres de Lucian Freud, le livre de Geordie Greig le fait aujourd’hui revivre avec tout son génie et sa complexité. Al. F.