Du côté de chez Montaigu. Qu'on le veuille ou non, le nom, avec ses origines, ses ascendances, conditionne chacun d'entre nous, héritier de toutes les générations qui l'ont précédé. Dans le cas qui nous occupe, Thibault Tassin de Montaigu, né en 1978, est le fils du comte Emmanuel Tassin de Montaigu, rejeton d'une famille d'industriels et négociants, anoblis au XVIIe siècle, d'abord riches puis en faillite en 1811 (à cause de la campagne d'Espagne menée par Napoléon), qui a donné ensuite nombre de militaires et s'est alliée à la famille Forger de Chesnes, descendant de Vergennes. Encore des militaires.
Sa mère est Françoise Gallimard, fille de Claude et Simone et petite-fille de Gaston, le fondateur de l'illustre maison d'édition. Thibault, qui a débuté dans le journalisme avant de partir pour l'Argentine et de se consacrer à l'écriture depuis 2003 (Les anges brûlent, chez Fayard), ne porte-t-il pas les prénoms de ses deux grands-pères, Louis et Gaston ? Mais, jusqu'à présent, c'est sur le seul côté paternel qu'il se penche, le côté Montaigu. Le côté Gallimard, sans doute tout aussi romanesque, viendra peut-être plus tard...
Après avoir célébré, dans La grâce (Plon, 2020, prix de Flore), la haute figure de son oncle, c'est aux autres hommes de la famille que Thibault de Montaigu s'attache aujourd'hui. Le point de départ de ce livre esquissé durant le Covid est son grand-père Louis, capitaine de hussards qui s'est fait tuer le 30 août 1914 à Rethel, chargeant à la tête de ses troupes contre les canons allemands. Un geste héroïque, absurde, déjà obsolète en son temps, qui a laissé une femme et des orphelins : c'est le fils aîné, Hubert qui, à 10 ans, sera chargé d'aller chercher sa croix de guerre posthume. Et puis vient la figure du père de l'auteur, Emmanuel, très malade quand commence le livre, aveugle, diminué, et qui mourra au terme de souffrances, de moments de rémission et de désespoir, qui nous sont minutieusement contés.
Thibault était parti pour reconstituer le parcours de Louis grâce aux souvenirs d'Emmanuel. Mais l'urgence le fait raconter en priorité la vie d'Emmanuel, clochard céleste, dandy ruiné, parasite de haut vol. Un personnage d'un autre temps, dernier des chevaliers dans une époque de boutiquiers. Et puis Thibault se glisse dans chaque chapitre, traitant de son enfance pas facile, de ses complexes physiques (on le surnommait « Timoche ») et psychologiques : comment être à la hauteur d'un tel père, même insupportable, et quel père est-il lui-même pour ses enfants, Tadzio et Paloma ? D'où tout un questionnement sur la transmission, symbolisée par une chevalière en or, seul bien dérisoire conservé par les Montaigu, qui n'ont plus ni château (détruit), ni terres ni fortune depuis longtemps. À la mort d'Emmanuel, la bague doit revenir à son aîné, Thibault, à qui il l'a donnée. Mais, peu de temps avant, il la lui reprend pour l'offrir à Antonin, son cadet, dernier de ses quatre enfants. Thibault a du mal à l'admettre, puis accepte. Une scène émouvante, comme bien d'autres de ce beau livre, à la fois complexe et parfaitement maîtrisé, servi par une écriture impeccable et porteur de valeurs humaines plus que jamais nécessaires aujourd'hui. Le tout assaisonné d'un zeste bienvenu d'autodérision. Proust aurait adoré.
Cœur
Albin Michel
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 21,90 € ; 336 p.
ISBN: 9782226493217