Il arrive qu’un éditeur français veuille agir contre des agissements commis à son détriment hors du territoire national. Le procès devant les tribunaux français est souvent possible, mais la réparation du préjudice risque de ne pas être à la mesure des dégâts. En matière de contrefaçon, il suffit bien souvent de pouvoir acheter un exemplaire dans une librairie parisienne pour que les juridictions de la capitale soient compétentes pour trancher le litige. La simple possibilité de commander, de Paris, un ouvrage, via, par exemple, un libraire spécialisé ou une cyberlibrairie étrangère permet d’attaquer devant les tribunaux locaux. La Cour de cassation a en effet souligné, que « la contrefaçon se constitue non seulement par le fait matériel de la reproduction d’une œuvre de l’esprit et l’absence de bonne foi, mais aussi par l’atteinte portée aux droits d’auteur, tels qu’ils ont été définis et réglementés par la loi. (…) Est réputée commise sur le territoire de la République toute infraction dont un des faits constitutifs a eu lieu en France ». Cette décision a été rendue au profit d’un préfacier dont le texte avait été reproduit sans autorisation aucune dans un catalogue d’exposition japonais mais conçu pour partie en France. De même, le 25 octobre 2010, la Cour de justice des Communautés européennes a été saisie par le Tribunal de grande instance de Paris d’une question préjudicielle concernant la compétence du tribunal d’un État membre pour juger d’une atteinte aux droits commise sur internet. En l’occurrence, un citoyen français avait intenté une action contre la société de droit anglais d’édition, se plaignant de la mise en ligne de textes et d’images, sur le site anglais de la société en cause. Celle-ci avait soulevé l’incompétence des juridictions parisiennes en l’absence d’un lien de rattachement suffisant entre la mise en ligne litigieuse et le dommage allégué sur le territoire français. La Cour supranationale a d’abord rappelé les solutions dégagées par sa propre jurisprudence, pour estimer que la personne qui s’estime lésée a la faculté de saisir d’une action en responsabilité, au titre de l’intégralité du dommage causé, soit les juridictions de l’État membre du lieu d’établissement de l’émetteur de ces contenus, soit les juridictions de l’État membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts (qui correspond en général à l’endroit où la personne a sa résidence habituelle, et/où elle exerce une activité professionnelle). Cette personne peut également, en lieu et place d’une action en responsabilité au titre de l’intégralité du dommage causé, introduire son action devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été. Celles-ci sont compétentes pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie. De plus, l’article 113-6 du Code pénal dispose que « la loi pénale française est applicable à tout crime ainsi qu’à tout délit puni d’emprisonnement commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l’infraction ». La contrefaçon, c’est-à-dire n’importe quelle atteinte portée aux droits d’un auteur ou de son éditeur, est bel et bien un délit pénal. Car selon l’article L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle, « la contrefaçon en France d’ouvrages publiés en France ou à l’étranger est punie de deux ans d’emprisonnement ». La seule condition pour agir en France est que les faits n’aient pas déjà été sanctionnés par une juridiction étrangère… En théorie, tout va donc pour le mieux, et l’éditeur peut faire confiance à la lenteur de ses propres juges nationaux. Il n’y a pas à s’inquiéter d’un juge sicilien ou à s’énerver devant les subtilités et le rythme de la justice indienne. La réparation du préjudice par le juge français est une autre paire de manches. En application de la Convention de Bruxelles, le juge français ne peut réparer entièrement le préjudice subi par un ayant droit étranger sur plusieurs territoires, sauf si le contrefacteur est établi en France. Enfin, la question s’est déjà fréquemment posée — notamment lorsque les faits ont été commis dans plusieurs pays — de savoir si une juridiction autre que celle du défendeur peut condamner à une indemnisation globale. Dans une affaire de diffamation, la Cour de justice des communautés européennes a estimé, en 1995, que la réparation du préjudice est limitée aux dommages subis dans le pays du juge. Seule la juridiction dont dépend principalement le défendeur (en clair celle de son lieu de résidence, du lieu de l’édition ou de la commercialisation principale) peut indemniser l’ensemble des torts subis dans plusieurs territoires. Le problème est bien évidemment accru en cas de diffusion litigieuse sur internet. Il va donc falloir ruser afin de se faire indemniser sans avoir à passer rive droite pour se rendre à Roissy. L’éditeur contrefait doit déployer des trésors d’arguments pour expliquer l’ampleur, voire l’énormité, du préjudice subi en France. Rappelons que l’évaluation du préjudice prend en compte plusieurs aspects : il peut s’agir de la perte directement subie — dans laquelle seront compris les « frais de justice » —, mais encore du manque à gagner. Celui-ci peut comprendre aussi bien les ventes manquées que les cessions de droits torpillées par les pirates qui auront massacré le marché. Il faut encore envisager le préjudice d’image lié à une contrefaçon de mauvaise qualité, etc. Enfin, si, par miracle, le juge français se montre généreux envers son compatriote éditeur — surtout en l’absence de comparution du contrefacteur hongkongais —, reste à faire exécuter la décision dans la baie de Kowloon…