A la fin de l’adresse "Au lecteur" qui ouvre son livre, Baptiste Rossi écrit : "Le monde est dans un tel état, de nos jours, que les jeunes gens sont souvent d’une précocité dangereuse." Bien sûr, il fait allusion à son héros, Kevin Mouche, un ado paumé de banlieue comme il en existe beaucoup, pour qui "la vie est compliquée" et qui va se trouver embarqué dans un pur cauchemar, pour avoir confondu la télé avec la vraie vie. Le coupable : Antoine Soro, un salaud absolu, concepteur pour TF2 des émissions de télé-réalité les plus répugnantes, l’un des fléaux d’une époque qui n’en manque pourtant pas.
Cette fois, il a imaginé de suivre ce Kevin, justement, dans son quotidien. Mais pas seulement en tant que voyeur : les téléspectateurs sont invités, via les réseaux "sociaux", dangereux pour les esprits faibles, à intervenir en temps réel sur le déroulement des événements. Depuis "Quel caleçon Kevin doit-il choisir ?", "Les parents Mouche doivent-ils divorcer ?", jusqu’à "Doit-il tuer son meilleur pote, Brandon, qui a violé sa sœur Jessica ?".
Présentée par Michalis Satrapas, une vedette de la chose, l’émission cartonne, bien sûr, jusqu’à ce que tout dérape. L’entourage de Kevin, puisque 4 000 euros sont promis à son meilleur ami restant, les médias, le public, et le malheureux gamin lui-même. Lequel, pour s’en sortir, retournera le piège contre son concepteur même, l’affreux Antoine.
Côté précocité, Baptiste Rossi sait de quoi il parle. A 19 ans, il démontre par son premier roman une stupéfiante maturité, non seulement intellectuelle - il a réussi une satire aussi jubilatoire qu’impitoyable du monde dit "moderne", le sien - mais littéraire et stylistique. Il a lu son Bret Easton Ellis, bien sûr, mais pas seulement, loin de là. Il possède aussi le sens de l’humour et de l’autodérision : un certain Baptiste Rossi apparaît à un moment dans le roman, avec son "look branché d’écrivain branché " à succès, très critique sur le projet.
La vraie vie de Kevin est le roman d’un moraliste en herbe, qui, face aux dérives qu’il dénonce avec une virtuosité impressionnante, fait rire pour mieux nous empêcher de pleurer. Seul bémol : une tendance à en faire parfois des tonnes. S’il n’abuse pas du Xanax et de la vodka fraise-goyave (beurk), une brillante carrière d’écrivain s’ouvre pour Baptiste Rossi.
J.-C. P.