Si l’on en croit Alexis Salatko - lequel a bénéficié des lumières d’Alain Gerber, jazzologue éminent -, Django Reinhardt resta toute sa vie le sale gosse manouche né à Liberchies (Belgique), qui s’est élevé tout seul sur les fortifs de Choisy, puis jusqu’aux sommets de la gloire et de la fortune grâce à ses dons exceptionnels de guitariste virtuose, en dépit d’une infirmité de la main gauche. A partir des années 1930 jusqu’à son retour en France (en 1947), il a été le sultan du swing. Une vedette internationale - même si son caractère impossible, son immaturité, son ingratitude, sa mégalomanie, lui ont aliéné le public américain -, qui a joué avec les plus grandes stars de son temps : Jean Sablon, qui l’a soutenu dans les mauvais moments, Stéphane Grappelli, son frère ennemi, Louis Armstrong, Duke Ellington et Dizzy Gillespie, ses idoles, et même Charles Trenet. Illettré, autodidacte, Django était non seulement un interprète habité par la musique, mais aussi un compositeur prolifique, à qui le jazz doit quelques-uns de ses classiques : Nuages, par exemple, qui fut le tube à la mode à Paris sous l’Occupation. Sombre période durant laquelle Reinhardt ne fut pas irréprochable. Grappelli, lui, semble-t-il, passant toute la guerre à Londres. Mais pour la jeune génération des zazous d’après, grâce à qui il a effectué l’un de ses come-back en 1951, au Club Saint- Germain, Django était un dieu vivant.
Son amie de toujours, Maggie Kuipers, femme d’affaires belge qui avait été son pygmalion, résistante de la première heure, était morte torturée par Klaus Barbie. Sa fille Jenny aussi, qui avait pris le relais auprès du musicien, d’une crise cardiaque. Django se retira à la campagne, à Samois, ne sortant de son silence que pour quelques concerts, passant son temps à pêcher et à peindre, de préférence des femmes nues. En souvenir du temps de sa gloire, où ce séducteur impénitent flambait, jouait, roulait dans de belles américaines. Il est mort le 16 mai 1953, à l’âge de 43 ans.
Alexis Salatko, écrivain éclectique, n’a pas voulu faire un biopic. C’est en romancier qu’il traite son personnage, dans toute sa démesure. Sans complaisance, mais avec admiration bien sûr. Soixante ans après sa mort, Folles de Django peut faire découvrir le manouche de génie et son destin romantique peut fasciner. Le subtil Jean Cocteau, qui fut son ami, avait tout compris au bonhomme lorsqu’il l’engagea pour figurer parmi ses Enfants terribles. J.-C. P.