Depuis Finbar’s de Dublin, on sait que les hôtels inspirent Dermot Bolger. Qui les voit comme des escales éphémères durant lesquelles tout semble possible. Illusion, dans la plupart des cas. Sitôt sorti de sa chambre, la « vraie » vie recommence. C’est cette expérience que le romancier irlandais fait connaître à l’un de ses compatriotes, Martin, haut fonctionnaire qui accompagne en mission en Chine un obscur sous-secrétaire d’Etat. Ce soir-là, la délégation est invitée. Martin, lui, choisit de rester seul dans sa chambre d’hôtel. Alors que faire ? Picoler, et se livrer à une séance d’introspection.
Martin a 55 ans, c’est un être terne, gris, sans relief. « Ennuyeux », reconnaît-il. Il est marié à Rachel, ils ont trois filles, déjà adultes. Leur couple sombre, ils font lit à part, n’ont plus de vie sexuelle. A son image : il n’a aucune ambition professionnelle, aucune confiance dans les hommes qu’il sert, pantins de politiciens qui mènent l’Irlande au désastre.
Il éprouve bien encore quelques tentations, Martin, notamment sexuelles. Mais il n’a jamais trompé sa femme. Ce soir, à Pékin, ne serait-ce pas l’occasion ? D’autant que l’hôtel lui fournit, moyennant 400 yuans de l’heure, les services d’une masseuse… et plus si affinités avec rallonge en euros. Martin va se laisser faire, bien sûr, manquer de déraper, se reprendre, et réaliser que la chair est triste. Il est trop angoissé, ratiocineur et minable, au fond, pour jouir d’un quelconque plaisir, même clandestin.
C’est avec beaucoup de délicatesse et de sensibilité, que Dermot Bolger raconte ce « momentary lapse of reason » dans la vie de Martin. Le roman semble toujours en équilibre instable, tout comme le héros. Va-t-il succomber aux avances de la masseuse ? La pauvre femme lui a fait comprendre qu’elle était mère, seule avec son enfant, et qu’elle avait un besoin vital d’argent. D’où ses « massages complets ». A défaut de plaisir, et tout en culpabilisant, il aura la satisfaction d’avoir aidé matériellement un être humain qu’il ne connaissait pas quelques heures auparavant, et ne reverra jamais.
Car Martin, bien sûr, ne cèdera pas à l’attrait de l’exotisme, et ne saura pas saisir cette occasion unique de tout plaquer et de « refaire sa vie ». Il n’a rien d’un joueur, d’un aventurier, d’un romantique. Il rentrera finir ses jours chez lui, perspective pourtant bien déprimante.
J.-C. P.