La faute en revient à Nerval qui n'avait pas pensé à mal. Son syllogisme énonçait simplement : l'art galant est gracieux, la France est la grâce, donc le galant est français. Et voilà comment, d'une bohème sentimentale et d'un rêve de femme, on invente un mythe national. Mais soyons justes, la galanterie dans ses fondements historiques, autour des nobles impliqués dans la Fronde, remonte au XVIIe siècle comme le rappelle Alain Viala. Ce professeur émérite (Sorbonne et Oxford) a d'ailleurs consacré une étude sur La France galante (Puf, 2008) jusqu'à la Révolution, travail qu'il prolonge ici jusqu'à nos jours.
Il fallait d'ailleurs bien un spécialiste du théâtre de son envergure pour traiter de la galanterie. Elle relève de la représentation et de la domestication des pulsions. Elle a aussi à voir avec le « dispositif de la sexualité » dont parlait Foucault, et Bourdieu l'aurait ajoutée dans la liste des indices de distinction de positions sociales. L'approche est vaste et l'auteur multiplie les occurrences et les références pour circonscrire son sujet. Il l'aborde en universitaire avec la méthode éprouvée des professeurs, mais aussi en amateur de textes, en goûteur de mots, ce qui nous vaut quelques passages plus agréables à lire.
Quand on autopsie un mythe, le corps du délit a disparu depuis longtemps. N'empêche, il reste toujours quelque chose, une trace. C'est ce résidu de galanterie, cette poussière de délicatesse qu'Alain Viala est allé rechercher dans la littérature mais aussi dans quelques œuvres d'art et même chez quelques compositeurs comme Debussy.
A l'époque de « MeToo », la galanterie est mal comprise. On la confond avec la drague, voire avec le libertinage, et cette forme de délicatesse un peu surannée peut désormais conduire dans les prétoires. Le mot galanterie est d'ailleurs assez mal choisi pour qualifier ce qui relève du harcèlement. Mais on ne peut omettre que ce comportement traduit un impensé des relations entre les hommes et les femmes, voire une forme de domination. Le « après vous...» est un avant-passage à l'acte. Du moins en manifeste-t-il l'espoir. Mais Alain Viala rappelle que nous pouvons encore profiter de ce mythe bien mité. Et son voyage, qui nous promène du Grand Siècle à Pierre Michon, montre que ce qu'il qualifie de « grand petit mauvais sujet » peut donner un grand petit livre tout à fait chatoyant.
La galanterie, une mythologie française
Seuil
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 24 euros ; 400 p.
ISBN: 9782021412314