« Il n'y a pas de petites histoires. Chaque histoire se confronte à celle des autres, Et nous lie avec le fil rouge, Qui s'emmêle et se démêle au gré du chemin. » Partant de là, Sophie Degano déroule une pelote de laine existentielle. L'artiste multidisciplinaire du Finistère aime se confronter à la réalité pour en extraire le jus de la vitalité. Cette plasticienne engagée, diplômée en histoire de l'art de l'École du Louvre, « creuse dans les émotions » en mélangeant les techniques et les matières. Après Poème absent et Grâce à elles - soixante portraits et gravures de femmes « qui ont inventé leur vie et changé les nôtres » (préface d'Élisabeth Badinter) - ce beau livre donne une voix à ceux qui n'en ont pas. Degano a passé quatre ans dans un Ehpad, un centre d'hébergement d'urgence et un foyer pour SDF. Les témoignages des résidents sont retranscrits de façon anonyme, épurée et poétique. Des propos, simples mais puissants, renforcés par une palette stendhalienne et des collages, des gravures ou des dessins exprimant la complexité de l'existence. Cette sincérité renferme tant d'universalité. Sophie Degano s'inscrit dans l'esprit de Svetlana Alexievitch, qui « n'écrit pas l'histoire des faits, mais celle des âmes » autour des thèmes de la transmission et de la transgression. À chacun sa vision... Omniprésent, le fil rouge ressemble aux veines de la vie qui crache ses flammes. On s'immisce dans « un monde inconnu » à la rencontre de « mots qui racontent une vie, l'Essentiel ». Degano met parfaitement le doigt sur les silences, les tabous ou les regrets. On est ainsi frappé par une méconnaissance du monde, du corps ou de l'amour. « À cette époque, on cachait tout. » Le statut des femmes est révélateur de tant d'inégalités ou de droits à acquérir (l'avortement par exemple). « Transmettre ? À qui ? Pourquoi ? » Comment modifier sa trajectoire ou les bagages familiaux encombrants ? « Transgression, désobéir, Liberté, souffle, révolte », mais ces parcours ont été brisés par la violence, la prison ou le mal-être. Ils transmettent leur expérience, pour que d'autres ne tombent pas dans le désespoir. « Je marche, mes pieds avancent, Et je marche. » Un hommage au courage du quotidien, sur le radeau des existences chahutées par les ruptures, les drames, les déceptions et la surprenante joie de vivre.