Comme dans une pièce de Tchekhov. C'est inscrit dans la déclaration d'indépendance des États-Unis : « the pursuit of happiness », la poursuite du bonheur. Un devoir autant qu'une ligne d'horizon. C'est quelque chose comme ça sans doute que sont allés rechercher dans le far west français − les Landes − les personnages réunis à l'appel de Sophie Avon pour son nouveau roman, Le goût du bonheur. Des personnages que l'on avait déjà pu croiser dans différents livres de l'autrice au fil d'une œuvre de plus en plus rêveusement autofictionnelle et innervée d'une intense mélancolie.

Revoici donc d'abord Paul, un homme dans la soixantaine, carrière faite, des enfants déjà grands et l'envie, pour lui qui fut dans sa jeunesse un marin sur toutes les mers du globe, d'un nouveau départ. Ce sera une maison traditionnelle landaise, entourée d'un vaste jardin, un airial, dans le vieux bourg de Lios. Paul invite sa sœur Lili, deux ans plus jeune que lui (ce sera elle, la narratrice du livre) et le compagnon de celle-ci, Jo, un ancien grand reporter, à le rejoindre. Le trio ainsi formé s'entend comme larrons en foire pour transformer ce refuge en un phalanstère qui devient le lieu de tous les possibles, de toutes les communautés envisageables. Enfants, voisins, un nouvel amour pour Paul, mais aussi pins, chênes, chevreuils, couleuvres, tout participe à l'harmonie des lieux et des jours, des saisons. Tout, jusqu'à ce qu'à l'été 2022, cet univers délicieux comme dans une pièce de Tchekhov ne se trouve menacé, que l'angoisse ne s'invite, impromptue : partout, la forêt prend feu. Il y aura tout de même un après, un automne, un hiver, et de beaux lendemains sur la terre brûlée.

Le motif caché dans le tapis moussu de cette superbe fable réaliste, c'est l'intranquillité de chacun, sa pudeur à l'avouer, et comment vivre avec. Sophie Avon écrit : « Je vivais dans le passé ou dans le futur, j'étais infoutue d'habiter le moment, sinon ici, à Lios où les tâches domestiques et les occupations physiques abondaient. La maison de Paul réclamait une présence, c'était aussi bête que ça. » La romancière avait déjà, avec l'écriture, « une chambre à soi » ; elle a désormais aussi une maison.