« Déliée de l'aversion, la tolérance est creuse. Débridée de la tolérance, l'aversion est odieuse. » L'essai de Claude Habib est résumé par cette formule. L'auteure du Goût de la vie commune (Flammarion, 2014) veut lier les deux notions pour éviter le miroir aux alouettes et le racisme. Pour cette dix-huitiémiste (université Sorbonne-Nouvelle) spécialiste de Rousseau, trois conditions sine qua non doivent être préservées dans nos sociétés : la liberté de conscience, l'égalité des sexes et le refus de l'antisémitisme.

Pour illustrer son propos, elle suggère un parcours vivifiant autour du thème, un itinéraire où elle prend plaisir à soulever les paradoxes et à révéler les absurdités. Pour ce faire, elle puise chez Voltaire, si peu tolérant avec le clergé, et dans les auteurs des Lumières. Née au XVI^e siècle, la tolérance est devenue une vertu centrale, au point de se confondre aujourd'hui avec la démocratie. Mais ses conditions d'exercice ont changé et le basculement des opinions en Occident montre qu'elle est loin d'être définitivement acquise.

Claude Habib multiplie les exemples puisés dans la littérature, le cinéma ou les séries. Elle montre l'importance du religieux dans cette notion d'hygiène et de dégoût que l'on retrouve dans l'antisémitisme d'un Paul Morand lorsqu'il visite New York. « La tolérance n'est pas destinée à remplacer les mœurs, mais à les accompagner. Son premier rôle est de les rendre compatibles. »

Comment déterminer un niveau optimal d'intransigeance et de tolérance ? Doit-on tolérer les intolérants ? Pour Claude Habib, ces questions ont peu de chance de trouver des réponses concrètes. Tout simplement parce que la tolérance ne va pas de soi et qu'elle ne se décrète pas. Elle relève de l'examen de conscience de chacun. Claudel la congédiait d'un geste large : « La tolérance ? Il y a des maisons pour ça ! » Claude Habib la remet au contraire au cœur de la vie en société. Tolérer, dit-elle, c'est souffrir que l'autre ne soit pas comme soi et c'est éprouver une indulgence à son égard. « J'ignore en effet jusqu'où il faut pousser l'effort de supporter les mœurs et les manières d'autrui. En revanche, je crois pouvoir démontrer qu'il n'y a pas de dépassement possible de la tolérance. C'est sur cette découverte que porte mon argumentation - une découverte éprouvante. » Et une lecture stimulante pour l'esprit.