Le remplacement, après deux ans de mandat d'Antoine Gallimard, par Vincent Montagne à la présidence du Syndicat national de l'édition était à l'ordre du jour de l'assemblée annuelle du jeudi 28 juin. L'occasion d'un portrait du P-DG de Média-Participations et d'un bilan de l'action de celui de Gallimard.
Vincent Montagne : "L'éditeur est un créateur"
Pas simple de succéder à Antoine Gallimard à la présidence du Syndicat national de l'édition. Fin 2011, quand il s'est agi de fêter les 25 ans de son groupe, le P-DG de Média-Participations s'est contenté d'une réception interne et d'une plaquette anniversaire, au demeurant très réussie : "Vingt-cinq ans, dans notre métier, c'est jeune, observe en riant Vincent Montagne. Et à côté des 100 ans de Gallimard..." Pourtant, ce cadet d'une famille de sept enfants, déjà pressenti comme président du SNE il y a quelques années, s'est jeté à l'eau lors de l'assemblée générale annuelle, le 28 juin. Il a déjà eu l'occasion de démontrer sa capacité à nager dans des eaux tumultueuses. En janvier 1991, le décès soudain de son père, Rémy Montagne, l'oblige à prendre la tête du groupe que l'avocat d'affaires et parlementaire centriste avait créé, alors qu'il n'a que 31 ans et une expérience limitée.
"Il fallait tout construire." Titulaire d'une maîtrise de gestion et d'un master en affaires internationales de l'université Paris-Dauphine, Vincent Montagne passe quelques mois au Canada, en 1986, comme commercial dans un groupe agroalimentaire de Toronto. Il rejoint ensuite très vite Le Lombard, à Bruxelles, comme contrôleur de gestion - une demande de son père dont l'éditeur belge de BD était une des premières acquisitions avec Fleurus, Mame et Desclée, et avant Dargaud, Rustica, Tardy ou Droguet & Ardant. "Jeune, j'ai compris que, dans notre métier, la création éditoriale est première, et que les droits dérivés et audiovisuels dépendent de la résonance d'un auteur avec son public", se souvient Vincent Montagne. Mais, admet le nouveau président du SNE, aujourd'hui âgé de 52 ans, "ma première décennie à la tête du groupe a été très difficile. Il fallait tout construire : une légitimité, une histoire, un équilibre économique".
Pour cela, Vincent Montagne a la chance d'avoir bénéficié de quelques atouts dès le berceau. Du côté de son père, il descend d'une famille de juristes et d'hommes politiques. Son grand-père a été maire de Mirabeau (Vaucluse). Son père, député (1958-1980), puis secrétaire d'Etat aux affaires sociales dans le dernier gouvernement de Raymond Barre (1980-1981). Sa mère, elle, soeur de l'industriel François Michelin, le rattache à une lignée d'industriels, entre les papeteries Aussedat Rey et le numéro un mondial du pneu, qui reste actionnaire de Média-Participations à hauteur de 14 %, et dont la production éditoriale est distribuée par le groupe.
En 2003, après des épreuves (la perte des droits d'Astérix en 1999), mais aussi des succès (développement dans l'audiovisuel, acquisitions, création du nouveau centre de distribution MDS à Dourdan), sa candidature à la reprise d'Editis marque un tournant, propulsant Média-Participations et son jeune P-DG sous les projecteurs. Si elle se solde par un échec en 2004, elle est vite suivie par la reprise de Dupuis, des développements dans la presse, l'audiovisuel et le numérique, et, ultime reconnaissance, l'entrée de Vincent Montagne au bureau du SNE, dont il devient vice-président en 2010. "Le groupe va bien, et il est remarquablement dirigé par Claude de Saint-Vincent [directeur général, NDLR] », se félicite son P-DG, qui voit là un contexte favorable pour prendre la présidence du SNE.
International. Vincent Montagne devrait en tout cas apporter à ses confrères l'expérience d'un éditeur qui a très tôt affronté les défis numériques, au coeur de leurs préoccupations (1). "Dans la continuité de ce qui a été fait par mon prédécesseur", il souligne qu'avec la mondialisation "on ne peut plus régler au niveau strictement français les problèmes de l'édition. L'action du SNE se déplace au niveau international. On accompagnera sûrement les évolutions de notre métier par des lois françaises, mais elles devront simultanément être portées par le gouvernement au niveau européen". Le président du SNE veut "convaincre la Commission européenne que, dans le domaine culturel, le prix ne peut pas être la seule variable d'ajustement de la concurrence. En France, rappelle-t-il, la loi Lang a servi les consommateurs en favorisant une concurrence sur l'offre et en faisant baisser les prix".
Notamment à Bruxelles, Vincent Montagne entend "améliorer la perception du rôle de l'éditeur. S'il est, en littérature, fer de lance de notre profession, un passeur entre l'auteur et son public, l'éditeur est aussi un créateur, plaide-t-il. Il est à l'origine d'une grande part de la production éditoriale et produit des concepts, des collections... en collaboration avec les auteurs". Il entend aussi "conforter les relations avec les auteurs et les libraires". Actuellement dans l'impasse, la discussion avec les auteurs "reprendra à la rentrée, car notre histoire doit forcément se construire en commun". Parallèlement, "pour pérenniser la concurrence par l'offre, il faut que la librairie indépendante puisse se déployer, rappelle le président du SNE. "L'effort de l'Etat, avec le retour de la TVA à 5,5 %, doit permettre de soutenir les libraires et la visibilité de l'offre." F. P.
(1) Voir l'interview de Vincent Montagne, "Nous devons être partout sur tous les supports", dans LH 804, du 15.1.2010, pp. 14-16.
Antoine Gallimard : "Un souffle collectif"
Le président sortant du SNE se félicite d'avoir introduit un début de régulation sur le marché du livre numérique. Il regrette de n'avoir pas su convaincre Bruxelles.
Livres Hebdo - Vous avez décidé de ne pas vous représenter à la présidence du SNE. Le rachat en cours de Flammarion a-t-il une incidence sur cette décision ?
Antoine Galllimard - Non, vraiment pas, d'autant que j'avais pris ma décision bien avant d'être candidat au rachat de Flammarion. Si j'ai souhaité ne pas me représenter à la présidence, c'est d'abord parce que je pense que c'est bien de passer le témoin. Pour moi, au syndicat, c'est d'abord le bureau qui compte. Je l'ai ouvert et renouvelé. Le nouveau président, Vincent Montagne, est issu de ce bureau dont il était l'un des vice-présidents. Mais, surtout, les dossiers sont aujourd'hui extrêmement complexes, et c'est beaucoup de travail. Pendant deux ans, j'y ai consacré un bon tiers de mon temps. Or, comme vous le savez, j'ai une entreprise... Ça ne serait pas sain de continuer comme cela. Mais j'ai accepté de faire partie du bureau et je continuerai à m'occuper plus particulièrement de certains dossiers urgents et sensibles, comme celui des oeuvres indisponibles, avec Sylvie Marcé.
Où en êtes-vous sur ce point ?
La loi instaurant la gestion collective des oeuvres indisponibles a été votée en mars dernier. Le ministère travaille, en concertation, à la rédaction de son décret d'application. C'est une bonne chose. Il faut maintenant créer la structure susceptible de mettre cette loi en application. Les discussions avec le Commissariat général à l'investissement ont pris beaucoup de temps, mais le schéma d'une structure interprofessionnelle, public-privé, dont le Cercle de la librairie serait l'actionnaire majoritaire, est fixé.Il reste encore à définir plus précisément l'implication de la Caisse des dépôts et consignations...
Quelles sont les réalisations de votre mandat dont vous êtes le plus fier ?
Globalement, je pense que j'ai redonné un souffle collectif au syndicat. Et j'ai fait de la concertation et du dialogue une priorité. Cela s'est manifesté par exemple dans les relations que nous avons pu nouer avec les traducteurs. Je suis heureux d'avoir signé, lors du dernier Salon du livre de Paris, un nouveau code des usages avec l'Association des traducteurs littéraires de France. Cela a été un vrai travail collectif, avec notamment le concours précieux de membres du syndicat, comme Dominique Bourgois, Liana Levi et du président du CNL, Jean-François Colosimo.
Plus précisément, en arrivant à la tête du SNE, j'avais trois objectifs liés à la régulation et au développement du marché du livre numérique : l'adoption d'une loi sur le prix unique du livre numérique, cela a été fait avec la promulgation de la loi du 26 mai 2011 ; l'adoption d'un taux réduit de TVA pour le livre numérique, cela a été fait en janvier 2012 ; la mise en oeuvre de la gestion collective des oeuvres indisponibles, cela a été fait avec la loi du 1er mars 2012.
Je suis heureux aussi que nous ayons pu mettre fin au contentieux avec Google au travers d'un accord-cadre proposé par l'opérateur américain aux membres du SNE, conforme à notre appréhension de la propriété intellectuelle : c'est un progrès, car il reconnaît la nécessité de l'autorisation préalable à toute exploitation d'une oeuvre.
Le SNE s'est engagé dans des discussions internationales autour des normes présentes et à venir du livre numérique dans le but de promouvoir des formats ouverts, non propriétaires, et interopérables. Le Salon du livre de Paris, qui a accueilli cette année encore nos assises numériques, a pu être un lieu privilégié d'échanges entre les différents partenaires sur ce nouveau marché.
Qu'est-ce qui vous a le plus marqué au cours de ces deux dernières années ?
La nécessité, urgente, de démontrer aux politiques l'importance d'adapter à l'univers numérique les règles qui régissent le livre imprimé. J'ai essayé de les convaincre qu'il fallait absolument préserver la valeur de la création et de la médiation éditoriale par la régulation du marché.
Pensez-vous avoir été entendu ?
En France, je le crois, et c'est satisfaisant. En revanche, ce n'est pas le cas à Bruxelles, et j'en garde un vrai sentiment de frustration. Je n'ai pas réussi à convaincre complètement les autorités européennes que le livre numérique n'est pas un service, mais un produit culturel. Nous craignons de devoir subir très prochainement les foudres de la Commission européenne à propos du choix de l'Etat français d'adopter un taux réduit de TVA sur le livre numérique identique à celui du livre imprimé.
Avez-vous d'autres sujets de "frustration", comme vous dites ?
J'aurais aimé à la fin de mon mandat parvenir à la signature d'un accord avec le Comité permanent des écrivains (CPE). Un immense travail a été accompli sur le Code de la propriété intellectuelle et le Code des usages, autour du contrat d'édition à l'heure du numérique. Un texte existe. Le résultat de cette concertation est aujourd'hui remis en question par les auteurs, alors que de véritables avancées avaient été engagées de part et d'autre (un seul contrat, deux exploitations autonomes avec leurs propres modalités, une clause de rendez-vous). Je veux espérer que la prochaine réunion du CSPLA puisse nous permettre de nous engager dans une voie commune.
Malgré cela, j'estime avoir réussi à renouer le dialogue avec nos différents partenaires. Avec les libraires, notamment autour de la TVA, des usages commerciaux. Avec nos partenaires sociaux aussi : le débat a été rouvert, alors que tout était bloqué, et nous sommes arrivés à trouver un accord autour de minima conventionnels au-dessus du Smic.
Quels sont selon vous les principaux dossiers à traiter d'urgence aujourd'hui ?
La priorité reste la défense de la propriété intellectuelle et la préservation de la vision française du marché du livre. Le SNE doit être le gardien des règles qui ont fait leurs preuves et qui préservent la rémunération de l'auteur, de l'éditeur et du libraire. A côté de cela, il faut trouver le point de rencontre entre évolution des usages et offre éditoriale, entre diffusion, technique et création. Il faut que nous arrivions à faire du numérique un levier de croissance pour l'économie du livre et une opportunité de long terme pour la lecture et la diversité culturelle. C. F.