« Pour avoir une vie amusante, je veux dire amusante à raconter, il faut renoncer à l'espoir d'une vie heureuse. Savoir toujours y renoncer à temps fut la plus grande chance de ma vie. » Des paradoxes comme celui-ci, qui ne paraissent l'être que du fait d'une lecture trop hâtive, font en quelque sorte la trame de Liberty, le nouveau livre de notre Des Esseintes contemporain, Simon Liberati. Ce Liberty, c'est lui, aux prises justement avec les aléas de sa propre liberté, chèrement payée, tendrement choyée. Il s'agirait d'un journal. Celui tenu plus ou moins secrètement par l'auteur durant les mois qui précèdent sa rencontre avec celle qui deviendra des années durant, pour le meilleur et pour le pire, sa muse, nommée ici Alleluia (mais en laquelle il n'est pas interdit, puisqu'après tout le name dropping est chez l'auteur comme une figure de style, de reconnaître la figure d'Eva Ionesco).
Bref, dans ces pages semblant échappées de ses heures tourmentées, Liberty est malheureux, suicidaire, à court d'argent, drogué, mondain, alcoolique, érudit et en même temps vêtu d'une sorte de manteau de folle espérance. Ses nuits sont invariablement plus belles que ses jours, dans la mesure où il parvient à faire la part des unes et des autres. L'accompagne dans ses errances une théorie d'amis d'un soir ou de toujours, parmi lesquels on reconnaîtra Pierre Le-Tan, Jean-Jacques Schuhl, sa femme Ingrid Caven ou Vincent Darré, voire les sœurs Rheims à propos desquelles il s'échine à écrire un article pour Vanity Fair. Justement, cette foire aux vanités ne lassera que ceux qui en ignorent la fondamentale vérité métaphysique, celle que l'on retrouve, si malaisée, chez Capote, ou dont l'écrivain perçoit les échos lointains chez Léautaud, Renard, Goncourt ou Morand. Deux femmes, Flower et Caroline n'arrivent pas tout à fait à le quitter à moins que ce ne soit l'inverse. Peu importe, tant seul compte le poudroiement du temps, la croyance infinie en une poussière d'étoiles.
À l'image de Vie rêvée, le journal de son compagnon d'exils intérieurs, Thadée Klossowski, largement cité, ce Liberty égrène comme autant d'épiphanies le quotidien d'un homme qui n'en veut surtout pas. Il y a chez tous les anges déchus comme une aspiration à la sainteté. Ce livre, vibrant, démoniaque, n'y fait pas exception.
Liberty
Séguier
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 16 € ; 208 p.
ISBN: 9782840498513