Récit

En mai 1975, Michel Foucault, invité à donner un séminaire à l'université de Berkeley, découvre la Californie. Et il adore ! Notamment cette importance donnée au corps, et tous ces jolis garçons, gays ou non, qui le montrent volontiers. Comme la France, par comparaison avec cet hédonisme, ce vent de liberté, lui paraît triste, terne, petite, provinciale... Aussi accepte-t-il, dans la foulée, de se rendre à l'invitation que lui avait lancée, enthousiaste, le jeune professeur Simeon Wade, à Claremont, où celui-ci assurait un Programme d'études européennes. Fan entre tous les fans, il n'en revient pas que Foucault, en qui il ne voit « rien moins que le plus grand penseur de notre temps, de tous les temps peut-être », vienne passer un séjour chez eux, lui et Michael Stoneman, dit Mike, son compagnon, pianiste, amateur de yoga et de musique contemporaine : Boulez (ami de Foucault) ou Stockhausen, celui du Chant des adolescents.

C'est cette musique qui accompagnera la nuit extraordinaire qu'ils ont passée ensemble, tous les trois, à Zabriskie Point, dans la vallée de la Mort, à prendre de la « potion » (du LSD), plus de l'herbe, plus du Grand Marnier, en devisant de choses et d'autres : Magritte, sur qui Foucault a écrit un essai, la sexualité (notamment l'amour qu'enfant il portait à sa sœur), ou encore son premier amour pour un garçon, à l'âge de 16 ans. Une franchise et une intimité inouïes, quand on se rappelle que Foucault, 49 ans, était à ce moment-là une vache sacrée (et contestée), professeur au Collège de France, mondialement connu et invité partout. Le voir le lendemain, remis de son trip, papoter en toute simplicité avec quelques beaux garçons homos et taoïstes vivant en communauté dans des cabanes - dont un certain David, qui lui plaît beaucoup -, a quelque chose de rafraîchissant. Il faut dire que Foucault n'avait rien du mandarin traditionnel.

Cet épisode occupe quelques lignes dans les biographies de Foucault, ou dans la chronologie du tome II de ses Œuvres en Pléiade (Gallimard, 2015). Il fut pourtant, selon ses propres mots, « la plus grande expérience de [sa] vie ». Un trip inoubliable, qui a eu quelques conséquences : par exemple, à son retour, le philosophe a détruit les manuscrits des volumes II et III de son Histoire de la sexualité, pour les réécrire différemment. Et il est retourné en Californie, demeuré en contact avec Simeon et Mike, dont la vie constitue elle-même, par ailleurs, un roman. Ils se sont écrit jusqu'à la mort de Foucault, en 1984, du sida. Wade, disparu en 2017, a attendu la fin de sa vie pour relater le récit de ce moment magique, mais n'a pu le faire publier. C'est sa disciple et amie Heather Dundas qui s'en est chargée. On lui en sait gré. Ce « manuscrit gonzo » est simplement stupéfiant.

Simeon Wade
Foucault en Californie Traduit de l'anglais (États-Unis) par Gaëtan Thomas
Zones
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 16 € ; 144 p.
ISBN: 9782355221583

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