Essai

Sigri Sandberg, «Éloge de l'obscurité» (Noir sur Blanc) : La nuit on ment

Sigri Sandberg - Photo © Steinar Ytre Eikjo Roregemoen

Sigri Sandberg, «Éloge de l'obscurité» (Noir sur Blanc) : La nuit on ment

Savons-nous encore profiter de l'obscurité ? L'essayiste Sigri Sandberg s'interroge sur notre capacité à être seul face à la nuit dans un essai éclairant. Tirage à 1700 exemplaires.

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Par Laurent Lemire,
Créé le 01.04.2021 à 21h23

En cinq jours on peut faire un grand voyage. Il suffit de le décider. Sigri Sandberg a pris un billet de train pour Finse, dans les montagnes de l'ouest norvégien, là où se révèle la nuit polaire. Dans un monde où tout devient trop clair à son goût, elle est partie à la recherche de l'obscurité, tout en ayant peur du noir. C'est tout le paradoxe de ces cinq jours qui transforment la nuit polaire en nuit magique. Pour se donner du courage et pour l'accompagner dans cette épreuve, elle puise dans les vers de Jon Fosse, l'un des grands écrivains norvégiens contemporains, et dans le livre de Christiane Ritter, cette artiste autrichienne qui dans les années 1930 a quitté les tapis de son intérieur douillet pour les peaux de phoque en rejoignant son mari chasseur sur une île située entre la Norvège et le pôle Nord. Elle a consigné son expérience dans Une femme dans la nuit polaire (Denoël, 2018) et les conditions extrêmes n'ont pas altéré sa santé puisqu'elle a vécu jusqu'à l'âge de 103 ans !

Sigri Sandberg, elle, veut simplement être face à la nuit. Elle explique comment notre métabolisme réagit quand il fait sombre. Elle rappelle notre rythme circadien, notre besoin d'alternance entre lumière et ombre. « Depuis la nuit des temps, les humains luttent contre l'obscurité, mais ne va-t-il pas bientôt faire suffisamment clair ? » En cause, cet éclairage artificiel permanent qui perturbe les insectes et les oiseaux, et ces écrans trop souvent allumés. Or, elle a besoin de noir pour y voir plus clair. Alors elle lève la tête et parle de matière noire, d'énergie noire, de trous noirs.

À l'instar de Sylvain Tesson, elle montre les changements qui s'opèrent dans notre esprit lorsqu'on se laisse envahir par les aurores boréales, le vent et le froid, et qu'on ne voit plus personne. On finit par être fasciné par la moindre trace de vie, ne serait-ce qu'une crotte de lièvre dans la neige. C'est à ce genre de considération que l'on constate qu'on est vraiment loin de chez soi. Comme tous les livres originaux, celui-ci s'affranchit des genres pour ne traiter qu'un thème, en profondeur. Il relève autant du voyage que de la vulgarisation sur nos comportements face à la nuit et au froid, il se veut aussi essai écologique et échappée mystique.

Cette expérience personnelle se nourrit des savoirs scientifiques sur les gens qui ne parviennent pas à s'accommoder à l'obscurité ou sur le traitement des troubles bipolaires par la filtration de la lumière artificielle via des lunettes orange. Car la nuit de l'astronome n'est pas la même que celle du poète, de l'astrophysicien ou du psychologue. Et pourtant, c'est la même chose, cette même immensité ancestrale, cette obscure clarté qui fait plus que tomber des étoiles. Elle révèle en nous les instincts cachés, les frayeurs refoulées, la peur des vagabonds. Elle agite notre esprit qui entre en mode panique. La nuit on se raconte des histoires, la nuit on ment. Et cet essai délicat nous délivre un peu de vérité sur ce mensonge-là. Inutile de dire que c'est assez précieux.

Sigri Sandberg
Éloge de l'obscurité Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier
Noir sur blanc
Tirage: 1 700 ex.
Prix: 16 € ; 128 p.
ISBN: 9782882506795

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