Par son thème, le malaise "générique" d’une jeune fille née dans un corps de garçon, dans un certain Nord de la France en proie à la paupérisation, à l’alcoolisme et à la délinquance, par ce mélange de violence et de perversité, La fille fait penser au roman d’Edouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule (Seuil, 2014). On pourrait également évoquer Simenon, pour l’atmosphère glauque et l’aspect fait divers. Les comparaisons s’arrêtent là. Eric Marty a construit un roman bien à lui, puissant, porté par une écriture précieuse, presque proustienne.
Dès leur enfance commune, le narrateur, orphelin de père, milieu modeste et oppressant, famille nombreuse, est tombé amoureux - platonique - de son ami, un garçon que tout le monde appelle Claudie et qui va vite prendre l’habitude de se travestir en fille. A Landon, ce bout du monde abandonné même de la SNCF, tout le monde le sait, se moque mais sans plus. Jusqu’au jour où Claudie commence à faire courir sur l’instituteur, M. Schwul, un vieux Flamand jamais vraiment accepté par la population, des rumeurs de propositions obscènes, d’attouchements, puis simule même une agression sexuelle. Il n’en faudra pas plus à son père, accompagné de complices aussi imbibés que lui, pour se faire "justice". On retrouvera le corps du vieil homme dans un étang. Mais le narrateur, lui, connaît la vérité. Il sait que Claudie a menti, et il a vu les assassins à l’œuvre, qu’il dénonce à la police.
Dix ans plus tard, alors que, englué à Landon, il est devenu une espèce de SDF, assistant de loin à la métamorphose de Claudie, qui joue les strip-teaseuses au bistro du village pour le plus grand plaisir des trois frères Palacio, dangereux, voleurs et proxénètes, mais sans plus avoir eu de contacts avec elle, il se trouve assister à une soirée sinistre qui se terminera par une échappée, puis une espèce de western tragique.
Construit en trois actes, comme une tragédie justement, avec flash-back, La fille est une superbe réussite littéraire. J.-C. P.
