Dans les premières pages de Léviathan, trois pilleurs d'épaves spatiales pénètrent dans un vaisseau abandonné. On ne voit du bâtiment, le Léviathan, que des détails, jusqu'à ce que, quelques planches plus loin, un plan large le révèle dans son intégralité. Immense, en ruine, il ressemble à un Titanic à la dérive dans le cosmos. L'effet est saisissant et le ton - angoissant - du manga est donné. Rapidement, le récit bascule : les pilleurs ayant trouvé un journal intime, on plonge avec eux dans ce qu'il relate, à savoir les événements survenus durant les derniers jours du vaisseau.
On apprend que le Léviathan transportait des collégiens et leurs professeurs en voyage scolaire. Après une mystérieuse explosion, le groupe s'est retrouvé abandonné dans l'épave. Une information s'est mise à circuler selon laquelle les secours ne pourraient pas être prévenus, l'oxygène allait manquer et seule une personne pourrait s'en sortir, grâce à un unique caisson de cryogénisation. Tout a alors commencé à déraper, dans la plus froide violence.Création originale pour l'éditeur français Ki-oon, ce manga de Shiro Kuroi emprunte son thème - des enfants en huis clos s'entretuant pour leur survie - à de nombreuses œuvres de fiction, de Battle Royale de K?shun Takami à Sa majesté des mouches de William Golding ou au manga L'école emportée de Kazuo Umezu. Comme dans tout bon teen movie, les personnages sont chacun bien caractérisés (le souffre-douleur, le grand costaud, l'asociale, le leader...).
Mais Léviathan se distingue par sa double trame, qui confère tout son suspense au récit : alternant avec des scènes sanglantes entre les élèves, des pages moins brutales montrent les pilleurs, qui, à la recherche du survivant potentiel, doivent affronter d'étranges pièges. Entre la violence des premières et la menace sourde qui suinte des secondes, le lecteur ne souffle jamais. Léviathan se démarque aussi par un arrière-plan politique et social qui rappelle The Expanse de James S. A. Corey (adapté sous le même nom en série télé) : des dissensions règnent entre la Terre et ses colonies, dont certaines se rebellent, les enfants sont d'origine modeste, et leur voyage scolaire a été organisé par une compagnie low cost.
La noirceur de cet univers est modelée avec dextérité par Shiro Kuroi, ancien chargé de production aux studios d'animation Toei et web designer. Les décors du vaisseau en ruine (murs fissurés, débris, enchevêtrements de tuyaux...) sont inquiétants à souhait, comme peuvent l'être ceux de Blame! de Tsutomu Nihei. On distingue aussi dans son trait tout en hachures l'influence de Moebius et du Miyazaki de Nausicaä, dont Kiroi est fan. « À partir de maintenant... ça va vraiment être l'enfer. » C'est sur cette phrase terrible- et alléchante !- que s'achève ce premier tome (sur trois) à couper le souffle.
Léviathan. T. 1 Traduit du japonais par Alex Ponthaut
Ki-oon
Tirage: 30 000 ex.
Prix: 9,95 € ; 196 p.
ISBN: 9791032710067