Pour faire un bon polar, il faut des personnages originaux, portés par une bonne intrigue, embrouillée à souhait : comme l'histoire, ici, de la disparition de Victoria Lanzman - une riche héritière esthète, lesbienne de choc aux mœurs plutôt libres, amatrice de sextoys virils -, en même temps que celle d'un chef-d'œuvre de Francis Bacon daté de 1976, L'homme au lavabo, qu'elle n'avait par ailleurs qu'à moitié payé à son vendeur, le célèbre galeriste Pierre Suzanne, de surcroît amoureux d'elle. Le temps passant, et la police semblant avoir d'autres chats à fouetter que de retrouver la blonde collectionneuse, le galeriste fait appel à la plus célèbre agence de détectives de France et de Navarre, Duluc, sise rue du Louvre depuis des générations. Elle est dirigée par Josée, 60 ans, une femme bien, qui a embauché dans son équipe sa nièce Frédérique, en dépit de tous les qu'en-dira-t-on. Fred, ainsi que tout le monde l'appelle, est elle aussi lesbienne tendance hard, s'habille en punk, est d'une incroyable maladresse et, quoique obsédée sexuelle, s'est imposé une abstinence totale depuis qu'elle a été plaquée par Laure. Mais elle est aussi bosseuse, et c'est une « cyberfouine », la reine du stalking (un genre d'espionnage 2.0).

En tandem avec Georges, diplômé en histoire de l'art, sympa mais angoissé parce que sa Sophie menace de le quitter s'il ne lui fait pas un enfant, Fred va se lancer dans un véritable jeu de piste, qui va les mener à Bruxelles, Pattaya (« le paradis des laids »), Hong Kong, Bâle, Paris, Miami (où tout se dénoue), avant un retour dans la capitale. Georges y retrouve Sophie, Fred la volcanique Ann, milliardaire camée et écolo, ex de Victoria, qui l'a fait renoncer à son vœu de chasteté, et Josée révèle toute l'affaire à son client, lequel ne sera pas au bout de ses surprises.

On préservera bien sûr le suspense imaginé et entretenu par Agnès Vannouvong dans ce polar décalé en forme de feuilleton transgenre, où elle bouscule pas mal de codes, osant une crudité que l'on trouve plutôt d'habitude dans les livres écrits par des hommes. Il est vrai que Fred est fan de Virginie Despentes. Comme le football, le polar féminin est en train de conquérir la France. Agnès Vannouvong y ajoute sa patte, une note d'érudition et un soupçon d'humour pince-sans-rire. On aimerait bien que Fred vive d'autres aventures.