Il s’appelle Daniel Braine. C’est un homme déjà mort. De retour de la guerre, celle de 1940 sans doute, des camps de prisonniers, il s’en revient chez lui quelque part du côté de Nantes, pour trouver sa mère et son fils ensevelis lors d’un bombardement, sa femme partie avec un autre. Alors, puisque Libération il est censé y avoir, il va s’atteler à exercer absolument cette liberté si chèrement acquise. "Le problème était infiniment simple : ou se renoncer, ce qui signifiait se soumettre à sa bouchée de pain blanc ou grisâtre, ou s’abandonner à soi-même. Eh bien, il avait choisi. Il entendait disposer de sa personne et non être embrigadé comme il l’avait été jusqu’à ce jour dans les usines de la paix et de la guerre. Il désirait se marier avec les ciels qui lui plairaient." Son errance le mènera quelque part sur les bords de Garonne, vivant en ermite et s’identifiant peu à peu à un animal, le sanglier, un sanglier féroce et solitaire.
En Gironde, dans le village de Tabanac, le fleuve et la forêt ne se laissent jamais tout à fait oublier. C’est là que naquit en 1909 et mourut, quatre-vingt-douze ans plus tard, Pierre Luccin, l’auteur de ce Sanglier, inédit opportunément publié par la maison Finitude. Luccin est bien oublié aujourd’hui. Il méritait mieux. Sa Taupe (Gallimard, 1943) ou son Marin en smoking (Gallimard, 1946), pleins d’une curieuse allégresse noire, ne sont pas rien. Pas moins donc, que ce Sanglier, nouvelle qu’il reprit au soir de sa vie pour écrire ce qu’il aurait souhaité être son grand roman autobiographique. En fait, c’est d’abord celui d’une génération fracassée, qui ne parvint jamais à vraiment revenir de sa guerre. Luccin, indigne et en colère, s’y peint une dernière fois en anar qui ne croit ni à la famille, ni à l’amour, ni au pouvoir et autres fadaises, mais aux arbres, aux peuples de la forêt et à la rumeur des fleuves.
Olivier Mony
Pierre Luccin
Le sanglier
Finitude
Tirage : 1 700 ex.
Prix : 13 euros ; 120 p.
ISBN : 978-2-36339-033-2
Sortie : 5 avril