3 mai > BD France

A chaque décennie son démon. Celui de la quarantaine, décrit avec un humour acide par Florence Cestac dans Le démon de midi ou Changement d’herbage réjouit les veaux (Dargaud, 1996, adapté au théâtre et au cinéma), taraudait le compagnon d’une Noémie très inspirée de l’auteure elle-même. Le démon d’après midi (Dargaud, 2005) saisissait dans une mélancolie joyeuse Noémie aux prises avec les interrogations de la cinquantaine. Et voici celui du soir, dans lequel l’héroïne retrouve, la soixantaine venue, une énergie presque inespérée.

Cela commence pourtant mal, par le diagnostic d’une double tumeur. Et puis Noémie vit avec une sorte d’ectoplasme qui, bien que déjà retraité, lui abandonne toutes les tâches ménagères. Or cette cadre supérieure est déjà surchargée au travail, dans une entreprise où une familiarité trompeuse couvre le reproche croissant de son âge qui avance. Elle doit aussi supporter la mère frappée d’Alzheimer, la fille autoritaire et agressive et les petits enfants charmants mais…, sans oublier le chien qui veut fort logiquement qu’on le sorte. Jusqu’à ce qu’elle décide de tout envoyer balader : on ne va pas tout raconter.

Antihéros assumés, Noémie noie volontiers ses angoisses dans l’alcool, son mari ronfle effrontément et les petits font inévitablement des cauchemars et pipi au lit. La dessinatrice se délecte aussi de l’ambivalence des soirées de papotage entre copines, aussi tendres que cruelles. Et ses scènes de rupture hystérisées tiennent du joyeux défouloir.

Florence Cestac a toujours eu l’art d’évoquer avec légèreté les choses graves, qu’elle enrobe d’une épaisse couche d’humour décomplexé, dans un univers chaleureux de copains et d’animaux toujours un peu hébétés. Ainsi, d’un démon à l’autre, comme à travers ses tableaux faussement édifiants de La vie en rose ou L’obsessionnelle poursuite du bonheur (Dargaud, 1998) ou de La vie d’artiste sans s’emmêler les pinceaux sur les chemins détournés (Dargaud, 2002), la reine de la BD « gros nez » fait œuvre sociologique. Elle dresse sans concession, sur plusieurs décennies, le portrait évolutif de la génération des baby-boomers. Elle décortique ses rapports ambivalents avec une société à laquelle elle s’est finalement intégrée et qu’elle a même remodelée, pas toujours pour le meilleur, après l’avoir contestée. Fabrice Piault

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