"Je suis né assassin, tordu et obstiné." C’est Victor Renard qui le dit l’avant-dernier jour de sa comparution devant le tribunal qui va le condamner. Il le sait et il n’a plus rien à perdre. Alors il se raconte. Et ce qu’il livre est stupéfiant. D’abord une enfance misérable avec un père qui joue à l’église d’un instrument à vent appelé serpent et qui meurt éventré par un soc de charrue dans une scène mémorable. Ensuite, sa mère Pâqueline, poivrote, injurieuse et peu aimante, qui jette continuellement des haricots pour conjurer le mauvais sort de lui avoir donné un tel enfant venu au monde en étranglant son frère jumeau avec son cordon ombilical.
Pour ce gosse perdu surnommé Victordu, l’étonnant Monsieur Joulia devient un père de substitution. Il lui apprend son métier d’embaumeur, héritage des techniques de l’Egypte pharaonique, et pourquoi il faut prendre soin des morts et les aimer. Il lui explique aussi les manigances avec la revente des dents ou d’autres organes. Car la mort est aussi un commerce qui attire des clients bizarres. Ainsi le peintre d’origine alsacienne Martin Drölling utilise en guise de vernis des enduits d’origine orientale - des "mummies" - confectionnés à partir des cœurs embaumés de la famille royale après la profanation des reliquaires des rois de France en 1793.
Dans ce Paris de l’après-Terreur, les cadavres ne manquent pas. Après le décès de Joulia, Victor reprend l’affaire, fait fructifier le commerce, devient riche, prend femme et maîtresse jusqu’au dénouement forcément tragique. Inévitablement, on songe au Parfum de Patrick Süskind, sauf que l’on baigne ici dans les effluves de pisse, de viscères et d’intestins. L’ambiance est lugubre à souhait et la fin épouvantable comme on ne s’y attend pas. Le lecteur, lui, n’aura pas lâché prise.
Avec une documentation d’autant plus solide qu’elle ne se voit pas et dix ans de travail, Isabelle Duquesnoy a réussi l’exploit de maintenir la vie et la truculence dans un roman où la mort est présente à chaque page. Dans un XVIIIe siècle finissant et putride, les Lumières prennent des teints blafards à la Edgar Poe. Cette restauratrice d’œuvres d’art s’est fait connaître avec Les confessions de Constanze Mozart (Plon, 2003, 2005). Aujourd’hui, elle dévoile une part plus sombre de son inspiration qui devrait secouer l’automne romanesque. Laurent Lemire