Malgré le discours affiché par les élus, en cette période de forte contrainte financière pour les collectivités locales, la culture se retrouve souvent en première ligne quand il s’agit de revoir les budgets à la baisse. La lecture publique n’est pas plus touchée que les autres secteurs culturels mais doit participer à l’effort général. La situation peut être particulièrement délicate pour les projets conçus il y a quelques années, quand les subventions étaient encore importantes, et qui se concrétisent aujourd’hui dans un contexte beaucoup plus contraint. L’alternance politique qu’ont connue de nombreuses villes lors des dernières élections municipales peut rendre l’équation encore plus compliquée. L’Alpha, la future médiathèque du Grand Angoulême qui ouvrira à la fin de l’année, illustre bien cette situation.
Restrictions budgétaires
Quand le projet est élaboré en 2008, les budgets d’investissement sont encore confortables, le maire d’Angoulême et le président de la communauté d’agglomération portent la même étiquette politique. Les élus optent pour un grand bâtiment au geste architectural fort : 5 700 m2 répartis sur cinq cubes empilés. Le chef du projet, Dominique Peignet, et son équipe ont élaboré pour le futur équipement un projet ambitieux où les collections organisées en grandes thématiques laissent une large place aux espaces de vie et de convivialité. "Nous nous sommes inspirés de l’idée de magasin pour imaginer un lieu où l’on entre sans intention, où l’on peut rester cinq minutes ou des heures, que l’on utilise de manière autonome ou avec de l’aide si on le souhaite", explique Dominique Peignet. Les dernières élections municipales conduisent à l’alternance politique. Il faut donc convaincre la nouvelle équipe municipale. "Les travaux ayant pris du retard, ce n’était pas évident pour les nouveaux élus de s’approprier le projet, car on ne voyait pas encore le résultat final", reconnaît le directeur. Le budget d’investissement est maintenu, mais, comme dans beaucoup de collectivités locales, le directeur devra faire avec un budget de fonctionnement réduit à environ 2,2 millions d’euros au lieu des 2,5 millions prévus initialement et avec une équipe de 37 personnes au lieu de 40. Les bibliothécaires se sont efforcés de rationaliser l’organisation autant que possible, notamment en externalisant certaines tâches telles que l’équipement des documents. Mais les restrictions budgétaires auront un impact, en particulier sur les horaires. La future bibliothèque ouvrira quarante heures par semaine quand le projet d’origine en prévoyait cinquante. L’ouverture du dimanche ne se fera pas d’emblée mais sera testée.
Au Bouscat, petite ville de 24 000 habitants près de Bordeaux, la médiathèque, qui ouvrira début 2016 dans un bâtiment en plein centre-ville où elle sera regroupée avec la Maison de la vie éco-citoyenne et associative, a été pensée dès le départ dans un esprit de mutualisation et d’économie. Le bâtiment a été conçu dans un souci de développement durable. Ce sera l’un des premiers de la région à être entièrement équipé d’éclairages à Led, ce qui générera des économies. Le regroupement de trois entités sera également source d’économie en termes de maintenance technique. La mairie a pris pour la médiathèque des options fortes : gratuité totale pour les habitants de la ville comme pour les personnes extérieures et ouverture le dimanche. Cette dernière sera mise en place grâce au recrutement de bénévoles et au monitorat étudiant proposé aux élèves de l’IUT métiers du livre de Bordeaux.
Un public nouveau
A Plaine Commune, une agglomération de huit villes en Seine-Saint-Denis, ce sont les tensions avec les usagers que le réseau des médiathèques a dû résoudre. Rançon du succès, les nouveaux équipements qui se sont ouverts ces dernières années ont attiré un public nouveau, peu familier des bibliothèques, avec parfois des mauvais comportements et incivilités. Les équipes ont donc entamé une réflexion globale sur la fonction d’accueil. Mohamed Bouali, directeur de la médiathèque de L’Ile-Saint-Denis, a coordonné la réalisation d’un "carnet de bord" à destination de l’ensemble des agents du réseau, intitulé "L’accueil des jeunes dans les médiathèques". Un document indispensable au savoir-vivre-ensemble sur ce territoire où les 20 800 inscrits âgés de 0 à 24 ans représentent plus de la moitié des usagers. Le personnel bénéficie également de formations régulières à l’accueil et de conférences animées par des experts sur divers sujets tels que l’égalité des sexes, les cultures urbaines. "L’accueil de ces jeunes qui ont un rapport distant à la culture est une problématique mais pas un problème, souligne Mohamed Bouali. Il faut accompagner les professionnels qui n’ont pas les outils pour répondre à ces usagers aux pratiques différentes, et surtout travailler en partenariat avec tous les interlocuteurs concernés, y compris les parents, dans un souci de continuité pédagogique. Ne jamais être seul pour résoudre les tensions". A la médiathèque de L’Ile-Saint-Denis, l’accueil est inscrit systématiquement à l’ordre du jour des réunions. "On s’est rendu compte qu’on ne parlait de l’accueil que sous l’angle négatif, quand il y avait un problème. Désormais, on l’aborde au même titre que les animations ou la politique documentaire", précise le directeur de la médiathèque. A Epinay, l’équipe de la bibliothèque a établi un partenariat avec la police municipale. Une réunion a permis de définir le positionnement de chacun. Plusieurs jours par semaine, sur le créneau sensible de la sortie des classes, un îlotier stationne devant la bibliothèque, entre pour saluer le personnel. Des initiatives suffisantes pour calmer les éventuels esprits échauffés. Depuis la mise en place de cette politique d’accueil, fondée sur une attention bienveillante, le nombre d’incivilités a nettement baissé dans toutes les bibliothèques du réseau. V. H.