26 octobre > Essai France > Yves Pagès

Dans les villes, les graffitis sont souvent perçus comme des désagréments qu’il faut éliminer. Depuis dix ans, Yves Pagès les note dans un carnet et quelquefois les photographie. C’est une collection comme les autres qui fait partie de notre histoire. Inutile de remonter à Pompéi pour cela. L’écrivain, prix Wepler 2001 pour Le théoriste, qui coanime la direction littéraire des éditions Verticales, a réuni quelque 5 000 aphorismes urbains, saisis en France et à travers le monde, dans ce livre-manifeste et illustré que n’aurait pas renié un historien comme Philippe Artières.

En cinquante ans, de Mai 68 au massacre à Charlie Hebdo, des mouvements autonomes en Italie à Tchernobyl, ce grand cadavre exquis déroule une chronologie de nos peurs, de nos envies, de nos rancœurs, de nos espoirs, de nos spontanéités, de nos désirs surtout de laisser une trace. Entre le jeu de mots et le calembour, on rit de la violence sociale, comme cette inscription dans un hall de l’ANPE en 1984 : "Vous qui entrez ici abandonnez toute espérance." Quelques années plus tard, en 2003, dans une agence d’intérim à Liège, on lit ceci : "Si tu ne trouves plus rien cherche autre chose."

Les murs portent les murmures de la ville. Quelquefois dans l’esprit d’un Raymond Devos. "Rendre l’âme, d’accord, mais à qui ?" (Lyon, 2007). Ces bribes de sagesse taguées au gré du temps, sans se soucier de l’orthographe, flirtent quelquefois avec le sublime et on en redemande une couche. Ainsi cette inscription lue à Lille en 2010 : "En raison de l’indifférence générale demain est annulé." Pas de doute, il s’agit bien de haïkus de la rue. L. L.

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