Mémoires d'un Mexique oublié. Dans la Nouvelle-Espagne conquise par Cortés, un temps nommée Empire aztèque et aujourd'hui Mexique, le jeune Antonio Valeriano observe la percussion de deux mondes, celui de ses origines et celui des Européens. Ce natif baptisé d'un nom chrétien, frappé par la puissance de la liturgie latine, devient novice auprès du père Bernardino de Sahagún. Ce dernier a un grand projet : rassembler en un ouvrage les croyances, les mœurs et l'histoire locales. Et ce, dans un double objectif paradoxal : d'une part, empêcher que cette culture ne disparaisse totalement, et d'autre part, mieux connaître la façon de parler aux indigènes afin de leur imposer la foi chrétienne.
Passionné d'histoire et narrateur hors pair de faits méconnus, toujours à hauteur d'humain, Jean Dytar (Florida, Delcourt, 2018) se penche ici sur les années qui ont suivi l'invasion espagnole du Mexique. Avec l'historien Romain Bertrand, il s'intéresse à deux figures réelles - un Franciscain ambigu et son disciple indien - dont la vie laisse suffisamment d'inconnues pour camper deux fascinants personnages de bande dessinée. À travers eux, les auteurs décrivent avec finesse ce moment de basculement terrible où une civilisation brillante se fait dévorer par une autre simplement plus féroce, et se voit réduite à la caricature d'un peuple emplumé sacrifiant ses membres à des divinités célestes. Témoins de cet insidieux processus, les deux protagonistes mettent alors en œuvre un travail immense de collecte de récits et d'images, une somme de près de 2 500 pages qui sera connue plus tard sous le nom de Codex de Florence.
Ce sont les illustrations de cet ouvrage qui ont inspiré Jean Dytar pour le design de sa BD. Comme souvent, l'auteur de La vision de Bacchus et #J'accuse (Delcourt, 2014, 2021) mêle intimement le fond et la forme. Ici, l'album démarre dans un style proche des gravures médiévales, dans lesquelles des figures mexicaines colorées font irruption. Peu à peu, la couleur gagne, le trait s'arrondit, les hachures s'estompent : le style s'uniformise à mesure que la culture européenne avale l'autochtone. Un choix malin au service d'une narration fluide et riche, que vient compléter un intéressant appendice sur les sources utilisées pour arpenter ces « sentiers d'Anahuac », qui ont bien failli totalement disparaître.
Les sentiers d'Anahuac
Delcourt
Tirage: 12 000 ex.
Prix: 34,95 € ; 160 p.
ISBN: 9782413082583