L'illusion d'un autre monde. Petit-fils d'esclave, Richard Wright naît dans le Mississippi en 1908, à une époque où le lynchage des Noirs et les arrestations arbitraires sont encore monnaie courante. Adhérant au Parti communiste USA, il fuit le maccarthysme et s'exile en France en 1946, où il fréquente Jean-Paul Sartre, Albert Camus et le groupe des Temps Modernes. Son écriture est imprégnée du climat de peur et de paranoïa qui règne alors aux États-Unis, comme en témoigne ce texte inédit aux accents kafkaïens, composé dans les années 1940 et initialement paru sous forme de nouvelle en 1962 dans le recueil Huit hommes. Mais L'homme qui vivait sous terre avait l'étoffe d'un roman, ici impeccablement traduit par Nathalie Azoulai, et devait s'accompagner, selon le vœu de l'auteur, de l'essai Souvenirs de ma grand-mère, qui éclaire la genèse et les grandes lignes de son œuvre.
Fred Daniels est un honnête homme : employé chez M. et Mrs. Wooten, il se rend à l'église le dimanche et prend soin de son épouse enceinte. Pourtant, lorsqu'il s'agit de trouver un coupable au meurtre des époux Peabody, la police voit en ce jeune homme noir le suspect idéal, l'arrête et lui fait signer de faux aveux. Passé à tabac, Fred Daniels parvient à échapper à ses tortionnaires en se réfugiant dans une bouche d'égout. « Il vit la plaque en acier [...] se refermer d'un coup sec. Il se figea. Le monde d'en haut venait de disparaître et n'était plus que bruits sourds. Le murmure du torrent bourdonnait maintenant plus fort et créait l'illusion d'un autre monde, avec d'autres valeurs et d'autres lois. » Peu à peu, ses yeux s'adaptent à la pénombre, ses doigts identifient ce qui l'entoure. S'il se sait en danger de mort, risquant à tout moment de glisser dans une fosse ou d'être asphyxié par une poche de gaz, les entrailles de la ville lui paraissent préférables au tribunal des hommes. Suivant le dédale de ce monde souterrain, Fred Daniels passe d'une chambre mortuaire à une salle de cinéma, d'une église clandestine à une boutique où il dérobe quelques objets et de l'argent. Mais Fred Daniels est un homme honnête, trop peut-être, et la tentation d'avouer ces menus larcins le rattrape bientôt... À travers l'épopée cauchemardesque de son personnage, Richard Wright dénonce le racisme d'une société pour laquelle une couleur de peau constitue en soi une preuve de culpabilité, et l'arbitraire auquel est exposé tout citoyen noir qui, comme Fred Daniels, se sera trouvé au mauvais endroit au mauvais moment.
L'homme qui vivait sous terre (version intégrale)
Christian Bourgois
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 18 € ; 240 p.
ISBN: 9782267049961