Grand entretien

Riad Sattouf : «Mon modèle, c'est Claire Bretécher»

Riad Sattouf. - Photo OLIVIER DION

Riad Sattouf : «Mon modèle, c'est Claire Bretécher»

Riad Sattouf revient avec un nouveau roman graphique, Le jeune acteur 1. Aventures de Vincent Lacoste au cinéma. À cette occasion, l'auteur des Cahiers d'Esther et de L'Arabe du futur devient aussi éditeur et lance sa propre maison, Les Livres du futur. Il s'explique sur ce double projet qui s'inscrit dans la continuité d'une œuvre profondément personnelle.

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Par Anne-Claire Norot,
Créé le 02.11.2021 à 10h00

Qu'est-ce qui a motivé la décision de lancer cette année votre maison d'édition, Les Livres du futur ?

Depuis de nombreuses années, je participe à l'élaboration de mes livres. Outre le scénario et le dessin, je fais la maquette, je choisis le papier, la forme du livre, je vais chez l'imprimeur. Je suis amoureux de l'objet livre. Mes dernières bandes dessinées ont eu beaucoup de succès, donc j'ai la chance de pouvoir me permettre de tenter le coup. C'est aussi l'occasion de découvrir quelque chose de nouveau et, comme je deviens de plus en plus maniaque avec l'âge, de pousser le contrôle encore plus loin, d'être encore plus indépendant, encore plus libre. J'ai envie de faire des livres qui me ressemblent, qui ne soient qu'à moi. Mais mon obsession, c'est d'abord et toujours d'essayer de faire un bon livre.

 


Vous n'êtes pas le premier auteur de bande dessinée qui se lance dans cette aventure...

En bande dessinée, c'est une tradition plus répandue qu'en littérature. Mon modèle, c'est Claire Bretécher qui s'est éditée pendant très longtemps. Mais on peut rappeler aussi que Fluide Glacial a été fondé par des auteurs, tout comme L'Association, Métal Hurlant ou encore les Éditions Albert-René, par Uderzo...

Le suivi de fabrication, vous l'avez fait dans toutes les maisons d'édition où vous avez publié ?

C'est toujours le cas chez Allary où je vais faire le tome 6 de L'Arabe du futur. J'ai toujours aimé ça, et chez Allary c'est devenu encore plus présent. Cela étant, certains éditeurs ont des impératifs de collection. Par exemple, chez Fluide Glacial, je n'aurais jamais eu envie de changer leurs petits albums cartonnés. J'étais trop fier et heureux d'être dans cette collection aux côtés d'Édika, Binet ou Goossens.

Le travail d'éditeur, c'est aussi apporter un regard critique pour encore améliorer le livre. Peut-on avoir assez de recul pour être son propre éditeur ?

Ça dépend des personnalités... Moi, je n'ai jamais sorti un livre sans le faire lire à au moins dix personnes de confiance, des copains dessinateurs qui sont sans pitié. Je peux par exemple citer Émile Bravo, mon grand maître et ami. Je ne fais rien sans avoir eu son opinion. Il n'est pas du genre à faire des compliments gratuits. Depuis quinze ans, je n'ai pas publié un livre sans qu'il ne l'ait lu auparavant ! Il faut faire attention à son ego et être capable d'écouter les avis critiques. Petit, j'avais lu une anecdote selon laquelle Saint-Exupéry faisait lire ses textes à son coiffeur et tenait compte de son avis ; je trouvais ça totalement génial.

Le jeune acteur. Aventures de Vincent Lacoste au cinéma.- Photo © LES LIVRES DU FUTUR

Avez-vous constitué une équipe au sein des Livres du futur ?

J'ai des collaboratrices et des assistants qui travaillent avec moi depuis longtemps. Ma correctrice, Jeanne Zoé Lecorche, est géniale, elle a un esprit d'analyse exceptionnel. Je travaille avec elle depuis six ans. La distribution sera assurée par Interforum, par les mêmes équipes que pour L'Arabe du futur, que je connais très bien.

Quelle est la spécificité du Jeune acteur qui justifie que le livre soit publié dans une nouvelle maison d'édition ?

Vincent Lacoste n'avait jamais pensé à être acteur. Je l'ai entraîné dans cette histoire des Beaux gosses parce qu'il était très innocent et vierge de toute influence. Ensuite, je me suis senti un peu responsable de l'avoir emmené là-dedans. On a toujours en tête l'image des enfants stars américains qui détruisent leur vie, deviennent toxicos, sombrent dans les excès. Il était hors de question que Vincent se détruise à cause de moi ! Donc je l'ai suivi à la culotte. En faisant cette bande dessinée, je me suis rendu compte que j'avais pris par moments la place symbolique du père, le père de L'Arabe du futur. Un peu comme un super tonton, je m'occupe de lui, je lui fais la morale, je suis rabat-joie. Et cet album, c'est un écrin dans lequel je raconte notre histoire. Je trouvais que c'était le projet idéal à gérer de bout en bout dans ma propre maison. Car Vincent et moi, ce sont finalement des histoires de premières fois : pour lui en tant qu'acteur, pour moi en tant que réalisateur, et maintenant, en tant qu'auteur pour Vincent et en tant qu'éditeur pour moi. Et puis aussi en tant que tonton ! C'est un symbole ! (rires).

Riad Sattouf et Vincent Lacoste.- Photo © MARIE ROUGE

Revenir sur votre relation avec Vincent Lacoste, était-ce pour vous une façon de boucler la boucle ?

Ni Vincent ni moi ne venons d'un milieu culturel disposé à l'expression artistique. Vincent s'est petit à petit révélé par sa passion, qui est d'interpréter, de s'exprimer par le jeu. Je me reconnais un peu dans la façon qu'il a eue de se libérer par la pratique artistique alors que ce n'était pas gagné d'avance. Moi, très tôt, je me suis dit que je n'étais ni syrien ni breton, mais que j'étais un auteur. Je me suis choisi cette identité rêvée. Raconter ça à travers son prisme à lui était très intéressant. Avec Le jeune acteur, c'est aussi l'occasion pour moi d'explorer un thème qui me fascine depuis l'adolescence, la célébrité. Comment se comportent les gens face à quelqu'un qu'ils reconnaissent, dont ils aiment ou non ce qu'il fait ? Est-ce qu'on a des passe-droits, est-ce qu'on peut séduire, coucher avec des gens ou se droguer facilement quand on est célèbre ? Devient-on obligatoirement fou ? Un jour, on est anonyme, le lendemain, on nous demande des autographes... Je trouve ça passionnant à explorer ! Vincent, qui est très sérieux et sincère par rapport à son travail mais qui a beaucoup d'autodérision, m'a permis d'observer ça.

Les jeunes et l'âge ingrat sont le point commun de beaucoup de vos ouvrages. Pourquoi est-ce votre sujet de prédilection ?

Tout me ramène à ça. Les Cahiers d'Esther, c'est l'histoire d'une petite ado d'une famille sans histoire et comment elle voit le monde. Sa transformation en adulte me touche énormément. C'est bouleversant. L'Arabe du futur, c'est ma propre histoire d'un ado entre deux cultures. Et dans Le jeune acteur, Vincent est un ado sans histoire qui soudain devient célèbre à 14 ans. Comment a-t-il vécu sa métamorphose en adulte, ce moment on se construit, alors qu'il était sous les feux des projecteurs ? À l'adolescence, la transformation qui s'effectue en nous nous change pour toujours. On peut devenir un jeune Schwarzenegger ou une jeune Cindy Crawford. Ou pas. Et dans un sens ou dans l'autre, c'est un choc, un vrai coup sur la tête. Et c'est toujours passionnant de voir comment chaque expérience personnelle est différente. Témoigner de ces moments-là, je ne vois pas de plus beau sujet. Ça m'interpelle et ça m'emporte chaque fois.

 

Tous vos livres semblent les chapitres d'une œuvre globale et on pourrait dire que vous faites de la BD d'auteur comme on parle de cinéma d'auteur. Est-ce conscient ?

Ça m'est difficile d'intellectualiser ce que je fais. J'adore la science-fiction et toute une part de moi-même rêverait d'en faire. Mais ma part profonde me dit de plutôt faire autre chose. J'ai fait Les cahiers d'Esther à partir du moment où mon personnage dans L'Arabe du futur avait l'âge de la vraie Esther quand je l'ai rencontrée, c'était inconscient. J'ai fait Le jeune acteur quand, dans L'Arabe du futur, j'arrive au moment où j'atteins l'âge que Vincent avait quand je l'ai rencontré. En définitive, je me rends compte que tout ce que je fais semble imbriqué depuis toujours.

Depuis Manuel du puceau, vous retranscrivez toujours à la perfection le langage des jeunes. Vous êtes tout le temps à l'écoute ?

Je me tiens très au courant de toutes les nouvelles formes d'expression, pour être dans le langage de l'époque. Grâce aux réseaux sociaux, on a accès à tout l'univers des ados, leur musique, leur humour... Sur Instagram, il y a des comptes qui sont souvent du génie pur au niveau de l'humour.

Riad Sattouf.- Photo OLIVIER DION

Vous ne portez jamais de jugement ou un regard condescendant sur le comportement des jeunes...

Je ne vois pas ce qui pourrait m'inciter à être condescendant. Pour faire passer une idéologie par exemple ? Mais les œuvres que j'aime sont celles qui vont bousculer un petit peu ma façon de voir les choses, ou qui vont m'emmener dans des endroits où je n'ai pas forcément envie d'aller. Ce sont celles qui ne jugent jamais leurs personnages et qui acceptent la complexité de l'être humain sans prendre parti. C'est le meilleur moyen de ne pas être condescendant.

Dans les années 1960, Les quatre cents coups ont bouleversé le regard sur la jeunesse. Pourquoi avez-vous souhaité revenir, dans Le jeune acteur, sur l'importance qu'a eu ce film pour vous ?

Dans L'Arabe du futur, il fallait que je parle des auteurs qui m'ont construit, Hergé, Moebius, Druillet, Bilal. Là, j'avais envie de parler de l'importance qu'a eue pour moi François Truffaut avec Les quatre cents coups. Quand j'ai vu les films de Truffaut, j'ai compris qu'il était possible de raconter sa propre histoire sans trop s'apitoyer sur soi-même, sans trop porter de jugement ou être trop pesant. L'œuvre de Truffaut est intensément intellectuelle, belle et cinéphile, mais en même temps très accessible, même pour un gars comme moi qui n'avait pas de culture cinématographique. Dès qu'il a été question pour moi de réaliser un film sur les jeunes, ma première référence a été Les quatre cents coups. Je devais trouver mon Antoine Doisnel, c'était pour moi une obsession.

Ce sera Vincent Lacoste. Comment avez-vous travaillé avec lui sur cet album ?

Pendant toutes ces années depuis notre rencontre, Vincent m'a raconté ses anecdotes d'acteur, de vie privée, amicales ou parfois inamicales. J'ai écrit les deux tomes du livre, quatre cents pages, d'un coup, et je l'ai découpé. Je l'ai fait lire à Vincent, il m'a fait des remarques, signalé des oublis, dit des choses qu'il n'avait jamais osé me dire. Il s'est investi pour la véracité des anecdotes. J'ai orienté le récit par rapport à nos deux mémoires.

Avec vos différentes séries, vous avez amené à la bande dessinée des gens qui n'en lisaient pas. C'est une fierté pour vous ?

Sur mon compte Instagram, je reçois très souvent des messages de parents qui m'envoient des photos de leurs enfants en train de lire mes BD, en me disant qu'ils n'avaient jamais rien lu de leur vie auparavant. C'est la chose qui me fait le plus plaisir. Ces enfants vont grandir avec le souvenir des livres qu'ils auront lus quand ils étaient jeunes et ça va les marquer comme moi j'ai été marqué par mes lectures. Et s'il y a bien quelque chose qui me rend fier et heureux, c'est ça.

Riad Sattouf
Les aventures de Vincent Lacoste au cinéma. Le jeune acteur 1
Les livres du futur
Tirage: 300 000 ex.
Prix: 21,50 € ; 144 p.
ISBN: 9782957813100

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