27 AOÛT - ROMAN France

Lionel Duroy a bâti, depuis plus de vingt ans, une oeuvre entièrement construite sur le ressassement, sur comment le passé ne passe décidément pas. Ce "retour sur la scène du crime", confrontant sans cesse l'histoire et la sphère privée, est donc ce qui fait tout le prix de son très intrigant nouveau "roman", L'hiver des hommes.

Lionel Duroy- Photo HANNAH ASSOULINE/JULLIARD

De nos jours, dix-neuf ans après un premier voyage au plus fort de la guerre civile (Il ne m'est rien arrivé, Mercure de France, 1994), un écrivain, Marc, revient à Sarajevo. Ses pas le mènent surtout dans tous les villages et les villes qui composent la République serbe de Bosnie, "pays" atrocement et ethniquement pur. Là, il ne cessera pas d'interroger tous ceux qui aux titres les plus divers (ministres, compagnons d'armes, intellectuels), purent participer à l'entreprise d'inspiration génocidaire menée par Radovan Karadzic et Ratko Mladic, de façon à confronter leurs points de vue avec le sien, mais aussi leur espoir d'alors, avec ce qu'ils sont devenus. Marc court les bois et les montagnes, brave l'hiver et la méfiance, à la recherche de héros shakespeariens déguisés en bûcherons, ivres de vengeance et de tristesse, soldats perdus d'une cause injuste qui ne leur vaudra aucune indulgence du monde, ni même gratitude des leurs. Auprès de chacun d'eux, il essaie d'obtenir leur sentiment sur les raisons pour lesquelles Ana, la fille de 23 ans du général Mladic, s'est donné la mort en 1994, à l'apogée de la "gloire" de son père (notons que ce destin a également inspiré la romancière barcelonaise Clara Usón, avec un roman-enquête, La hija del este). Au-delà d'elle, il s'interroge sur la souffrance des enfants de dictateurs et d'assassins, partagés entre le déni et l'horreur, condamnés d'une façon ou d'une autre à expier à leur tour les fautes de leurs pères. Et lui reviennent en mémoire ses propres échecs, de père et d'homme, et cette femme aimée, Hélène, qui l'a laissé pour ne pas avoir à le quitter tout à fait.

Les lecteurs fidèles reconnaîtront en Marc l'alter ego romanesque de Lionel Duroy. Ce qui relève ici de sa veine autobiographique, de l'exposition sans relâche depuis Le chagrin (Julliard, 2010) et Colères (Julliard, 2011), de ses blessures intimes, retiendra moins l'attention que l'exposition de ce bout de terre balkanique laissé à l'hiver et à la montagne, oublié des hommes et de Dieu. L'hiver des hommes nous rappelle surtout le journaliste que fut et demeure Duroy. Perdu quelque part du côté de Pale et de Banja Luka, il voit tout, écoute beaucoup, ne dit pas grand-chose et n'en pense pas moins. Et démontre, in fine, que les guerres civiles ont ceci de commun avec celles de l'amour, de ne laisser sur le champ de bataille que des vaincus.

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