C'était en 1994. Patrick Boucheron soutenait sa thèse sur « Urbanisme, politique des grands travaux et pouvoir princier à Milan à la fin du Moyen Age ». Depuis, il y a eu d'autres livres, d'autres cours, l'élection au Collège de France puis les 100 000 exemplaires de l'Histoire mondiale de la France qu'il a dirigée aux éditions du Seuil (2017). Mais l'auteur de Léonard et Machiavel (Verdier, 2008) n'a pas oublié la capitale lombarde et la basilique Sant'Ambrogio.
Retrouver la trace d'Ambroise de Milan, c'est quitter sa zone de confort de médiéviste pour s'immiscer dans la spécificité liturgique du rite ambroisien auquel il consacre des pages érudites. Savant, ce livre l'est d'un bout à l'autre, avec ses références, ses développements, ses parenthèses, cette manière d'avancer dans son sujet en fouinant dans les chemins de traverse. Patrick Boucheron s'était peut-être rêvé écrivain. En tout cas, il écrit l'histoire comme s'il l'était. C'est dans Le livre des passages de Walter Benjamin qu'il a trouvé les notions de trace et d'aura qui continuent de le hanter.
L'ouvrage tourne autour d'Ambroise comme un manège autour de son centre, autour de cette année 374 où le cri d'un enfant le fait évêque de Milan. Mais il y a aussi ce retour à saint Augustin, au fameux passage des Confessions où il veut entendre la parole de saint Ambroise et doit se contenter de le voir lire, en silence. Il y a là comme une allégorie de l'histoire elle-même. Comme la lecture, elle est silencieuse. C'est dans le calme des archives, face au secret des œuvres d'art, dans le mystère même de la trace que se manifeste l'aura. Patrick Boucheron aura réussi cela. Un livre d'histoire sur l'histoire. Ou plutôt « au bord d'un livre d'histoire », comme il le dit lui-même.
Ambroise fait partie de ces « bricolages mémoriels » sur lesquels s'édifie un passé commun. Boucheron en soulève le socle et se fait archéologue du site à la manière d'un Foucault. Milan devient une machine contre l'oubli, et Sant'Ambrogio une machine à arrêter le temps. Du IVe au XVIe siècle, l'aura du saint évêque a oscillé comme une lumière dans la brume. Patrick Boucheron souligne combien l'histoire est aussi faite de cette « inquiétante étrangeté », mais qu'il importe à l'historien de toujours revenir à la réalité. Dans ce livre très personnel, dense et profus, Patrick Boucheron invite ses lecteurs à « la limite de ce qui peut être su ».
La trace et l’aura : vies posthumes d’Ambroise de Milan (IVe-XVIe siècle)
Seuil
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 25 euros ; 544 p.
ISBN: 9782021310719