20 mai > Essai France

Alors que l’Etat va désormais avoir accès - pour des raisons de sécurité - à tous nos faits et gestes, Anne Dufourmantelle propose une jolie réflexion sur le secret. Philosophe et psychanalyste, elle est passée depuis longtemps de ce côté-là dont elle montre qu’il ne se résume pas au côté obscur.

Contre la tyrannie de la transparence - qui n’est pas la vérité - et du prétendu droit de tout savoir sur chacun, elle oppose la face cachée comme ultime rempart de l’intimité. Les secrets, il y a des jardins pour ça ! Eh bien profitons-en et préservons-nous, dit-elle, cette "part pour soi". De toute manière, on ne dit jamais tout, on ne distille que des petits riens. Même à son psychanalyste, le pari de "tout dire" n’est qu’une invitation à une observation conjointe de soi. "La chambre des secrets laisse place à ce qui ne sera jamais divulgué, ni déchiffré : le mystère."

Il y a beaucoup d’élégance, de prudence aussi, dans les propos d’Anne Dufourmantelle. Cela commence par le choix des mots. Depuis quelques années, elle a fait partager à ses lecteurs des préoccupations profondes que traduisent les titres de ses livres : Eloge du risque (2011), Intelligence du rêve (2012) ou Puissance de la douceur (2013).

A chaque fois, elle explore le thème choisi dans les différents champs de la pensée. D’Etat, d’alcôve ou de Polichinelle, les secrets n’ont pas tous les mêmes statuts. En tant que psychanalyste, elle explique qu’on peut garder un secret comme être gardé par lui. "Avec le secret on est toujours trois. Le gardien, le témoin, l’exclu."

Assange ou Snowden l’ont montré : ce n’est pas le secret qui est une menace pour la vérité, mais sa dissimulation. Savoir qu’il y a un secret n’est pas gênant. Dire qu’il n’y en a pas, c’est mentir. Voilà pourquoi il ne faut pas confondre secret et mensonge. On ment justement pour éviter d’avoir des secrets. Un secret, c’est quelquefois lourd à porter. Un mensonge, on finit par l’oublier ou par y croire ; c’est d’ailleurs comme ça qu’on se fait prendre.

Par petits chapitres, avec quelques cas de patients en guise d’exemples, Anne Dufourmantelle examine avec délicatesse cette constellation du secret, ce qui étymologiquement est "mis à part" (secretus), relève du for intérieur et participe du ressourcement de soi. "Le secret reste le trait qui lie efficacement la vie du désir et la possibilité qu’offre le réel de le recevoir." C’est pourquoi quelqu’un qui se regarde dans un miroir ne voit pas qu’une énigme. Les secrets ne sont pas que de misérables petits tas. Ils constituent la matière même dont nous sommes faits. L. L.

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